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Colette. La maison de Claudine

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Разработка посвящена роману "Дом Клодины" интересной французской писательницы Сидони-Габриель Колетт.

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«Colette. La maison de Claudine»


Colette. La maison de Claudine


I. Lisez le texte sur le roman La Maison de Claudine et répondez aux questions :


1. Où et quand se déroule l’action de ce roman ?

2. Quel est le sujet du roman ?

3. Quels sont les problèmes essentiels qui y sont soulevés ?

4. Quelle est l’idée principale

5. Nommez les personnages du roman.

Ce récit d’enfance, publié par Colette lorsqu’elle avait près de 50 ans, a fait l’objet de trois éditions successives (1922, 1923 et 1930) avant d’aboutir à sa version finale, et un grand nombre des nouvelles qui la composent ont été publiées préalablement dans le journal Le Matin. Rédigée à une époque difficile de la vie de Colette (son second mariage avec Henri de Jouvenel bat de l’aile, et la rupture définitive interviendra en 1923) La Maison de Claudine correspond à une plongée dans le passé de son enfance, qui fut certainement la période la plus heureuse de son existence.

La reprise du personnage de « Claudine » dans le titre de l’œuvre, rappelle les premiers ouvrages publiés par Colette entre 1900 et 1903, sous l’impulsion de son mari Willy (Claudine à l’école, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va). Elle inscrit ainsi l’œuvre nouvelle dans une lignée d’ouvrages consacrés à son enfance et à sa jeunesse. Mais le nom de Claudine n’y est plus utilisé, et Colette y apparaît sous le surnom donné par sa mère de Minet-Chéri, ce qui l’éloigne un peu de la fiction autobiographique attachée à ce premier personnage.

La maison de Claudine se présente comme un recueil de souvenirs, dont l’écriture travaillée et très moderne, n’est pas de nature linéaire. Il ne s’agit pas, contrairement aux autobiographies traditionnelles, d’un récit rétrospectif à la 1ère personne, qui suit un développement plus ou moins chronologique, centré sur l’histoire du narrateur/personnage, mais d’un ouvrage qui présente une structure éclatée : l’espace, le temps et les protagonistes principaux varient d’une nouvelle à l’autre, et chaque récit est autonome et forme un tout en soi.

Le cadre spatial est principalement celui de Saint-Sauveur en Puisaye, où se trouve encore la maison natale que Colette décrit dans la première nouvelle, mais les nouvelles relatives à la maladie et à la mort de sa mère se déroulent à Châtillon-Coligny, celles qui mettent en scène les chiens et les chats de Colette se situent dans le cadre parisien d’Auteuil et du Bois de Boulogne, et la découverte du grand-duc se fait en Corrèze, à Castel Novel, dans la propriété des Jouvenel. Le temps, n’est pas exclusivement rétrospectif, puisque Colette ajoute à ses souvenirs d’enfance, des épisodes contemporains et le récit de ses propres expériences de mère.

Mais cette écriture fragmentée est compensée, d’un point de vue structurel, par une organisation qui gravite autour d’un noyau essentiel : l’évocation de la famille et de son cocon protecteur, et la figure de celle qui en constitue le centre de gravité: la mère. De plus, des échos subtils se tissent entre les nouvelles, notamment celles qui sont consacrées à l’évocation des deux mères (Sido et Colette) et des deux filles (Minet-Chéri et Bel-Gazou).

3 idées importantes :

- une œuvre qui met en scène les principaux membres de la famille

- une œuvre qui est centrée sur la vie de la cellule familiale et sur le personnage de la mère qui

en constitue le centre de gravité

- une œuvre qui, après la mort de la mère, se poursuit à travers les 9 derniers chapitres qui

exaltent le même amour de la vie, la même passion pour les bêtes, et présentent les enfants

de Colette, notamment sa propre fille, Bel-Gazou : le couple mère-fille est reconstitué, à

travers le passage des générations.



II. Lisez le fragment du roman et répondez aux questions :



1. Où et quand se déroule l’action de ces chapitres?

2. Quels sont les problèmes qui y sont soulevés ?

3. Dégagez le leitmotiv de ce fragment.

4. Composez les questions sur le contenu de ces chapitres et répondez à ces questions.

5. Dressez le plan de l’extrait.

6. Donnez la caractéristique d’un des personnages de cet extrait.

7. Quels détails ou faits ont une grande valeur dans la narration ?

8. Que pensez-vous, en général, de cet extrait du texte ?

9. Est-ce que les titres traduisent l’idée principale des chapitres ?



MA SOEUR AUX LONGS CHEVEUX

J'avais douze ans, le langage et les manières d'un garçon intelligent, un peu bourru, mais la dégaine n'était point garçonnière, à cause d'un corps déjà façonné fémininement, et surtout de deux longues tresse s, sifflantes comme des fouets autour de moi. Elles me servaien t de cordes à passer dans l'anse du panier à goûter, de pinceaux à tremper dans l'encre ou la couleur, de lanières à corriger le chien, de ruban à faire jouer le chat. Ma mère gémissait de me voir massacrer ces étrivières d'or châtain, qui me valaient, chaque matin, de me lever une demi-heure plus tôt que mes camarades d'école. Les noirs matins d'hiver, à sept heures, je me rendormais assise, devant le feu de bois, sous la lumière de la lampe, pendant que ma mère brossait et peignait ma tête ballante. C'est par ces matins-là que m'est venue, tenace, l'aversion des longs cheveux… On trouvait de longs cheveux pris aux basses branches des arbres dans le jardin, de longs cheveux accrochés au portique où pendaient le trapèze et la balançoire. Un poussin de la basse-cour passa pour estropié de naissance, jusqu'à ce que nous eussions découvert qu'un long cheveu, recouvert de chair bourge onnante, ligotait étroitement l'une de ses pattes et 'atrophiait…

Cheveux longs, barbare parure, to ison où se réfugie l'odeur de la bête, vous qu'on choie en secret et pour le secret, vous qu'on montre tordus et roulés, mais que l'on cache épars, qui se baignent à votre flot, déployés jusqu'aux reins ? Une femme surprise à sa coiffure fuit comme si elle était nue. L'amour et l'alcôve ne vous voient guère plus que le passant. Libres, vous peuplez le lit de rets dont s'accommode mal l'épiderme irritable, d'herbes où se débat la main errante. Il y a bien un instant, le soir, quand les épingles tombent et que le vissage brille, sauvage, entre des ondes mêlées – il y a un autre instant pareil, le matin… Et à cause de ces deux instants-là, ce que je viens d'écrire contre vous, longs cheveux, ne signifie plus rien.

***

Nattée à l'alsacienne, deux petits rubans voletant au bout de mes deux tresses, la raie au milieu de la tête, bien enlaidie avec mes tempes découvertes et mes oreilles trop loin du nez, je montais parfois chez ma sœur aux longs cheveux. À midi, elle lisait déjà, le grand déjeuner finissant à onze heures. Le matin, couchée, elle lisait encore. Elle détournait à peine, au bruit de la porte, ses yeux noirs mongols, distraits, voilés de roman tendre ou de sanglante aventure. Une bougie consumée témoignait de sa longue veille. Le papier de la chambre, gris de perle à bleuets, portait les traces, près du lit, des allumettes qu'y frottait la nuit, avec une brutalité insouciante, ma sœur aux longs cheveux. Sa chemise de nuit chaste, manches longues et petit col rabattu, ne laissait voir qu'une tête singulière, d'une laideur attrayante, à pommettes hautes, à bouche sarcastique de jolie Kalmoucke. Les épais sourcils mobiles remuaient comme deux chenilles soyeuses, et le front réduit, la nuque, les oreilles, tout ce qui était chair blanche, un peu anémique, semblait condamné d'avance à l'envahissement des cheveux.

Ils étaient si anormaux en longueur, en force et en nombre, les cheveux de Juliette, que je ne les ai jamais vus inspirer, comme ils le méritaient pourtant, l'admiration ni la jalousie. Ma mère parlait d'eux comme d'un mal inguérissable. « Ah ! mon Dieu, il faut que j'aille peigner Juliette », soupirait-elle. Les jours de congé, à dix heures, je voyais ma mère descendre, fatiguée, du premier étage, jeter là l'attirail des peignes et des brosses : « Je n'en peux plus… J'ai mal à ma jambe gauche… Je viens de peigner Juliette. »

Noirs, mêlés de fils roux, mollement ondés, les cheveux de Juliette, défaits, la couvraient exactement tout entière. Un rideau noir, à mesure que ma mère défais ait les tresses, cachait le dos ; les épaules, le visage et la jupe disparaissaient à leur tour, et l'on n'avait plus sous les yeux qu'une étrange tente conique, faite d'une soie sombre à grandes ondes parallèles, fendue un moment sur un visage asiatique, remuée par deux petites mains qui maniaient à tâtons l'étoffe de la tente.

L'abri se repliait en quatre tresses, quatre câbles aussi épais qu'un poignet robuste, brillants comme des couleuvres d'eau.

Deux naissaient à la hauteur des tempes, deux autres au-dessus de la nuque, de part et d'autre d'un sillon de peau bleutée. Une sorte de diadème ridicule couronnait ensuite le jeune front, un

autre gâteau de tresses chargeait plus bas la nuque humiliée. Les portraits jaunis de Juliette en font foi : il n'y eut jamais de jeune fille plus mal coiffée.

– La petite malheureuse ! disait Mme Pomié en joignant les mains.

– Tu ne peux donc pas mettre ton chapeau droit ? demandait à Juliette Mme Donnot, en sortant de la messe. C'est vrai qu'avec tes cheveux… Ah ! on peut dire que ce n'est pas une vie, des

cheveux comme les tiens…

Le jeudi matin, vers dix heures, il n'était donc pas rare que je trouvasse, encore couchée et lisant, ma sœur aux longs cheveux.

Toujours pâle, absorbée, elle lisait avec un air dur, à côté d'une tasse de chocolat refroidi. À mon entrée, elle ne détournait guère plus la tête qu'aux appels : « Ju liette, lève-toi ! » montant du rez-de-chaussée. Elle lisait, enroulant machinalement à son poignet l'un de ses serpents de cheveux, et laissait parfois errer vers moi, sans me voir, le regard des monomanes, ce regard qui n'a ni âge ni sexe, chargé d'une défiance obscure et d'une ironie que nous ne pénétrons pas.

Je goûtais dans cette chambre de jeune fille un ennui distingué dont j'étais fière. Le secrétaire en bois de rose regorgeait de merveilles inaccessibles ; ma sœur aux longs cheveux ne badinait pas avec la boît e de pastels, l'étui à compas et certaine demi-lune en corne blanche transparente, gravée de centimètres et de millimètres, dont le souvenir mouille parfois mon palais comme un citron coupé. Le papier à décalquer les broderies, gras, d'un bleu nocturne, le poinçon à percer les « roues » dans la broderie anglaise, les navettes à frivolité, les navettes d'ivoire, d'un blanc d'amande, et les bobines de soie couleur de paon, et l'oiseau chin ois, peint sur riz, que ma sœur copiait au « passé » sur un panneau de velours… Et les tablettes de bal à feuillets de nacre, atta chées à l'inutile éventail d'une jeune fille qui ne va jamais au bal…

Ma convoitise domptée, je m'ennuyais. Pourtant, par la fenêtre, je plongeais dans le jardin d'En-Face, où notre chatte Zoé rossait quelque matou. Pourtant chez Mme Saint-Alban, dans le jardin contigu, la rare clématite – celle qui montrait sous la pulpe blanche de sa fleur, comme un sa ng faible courant sous une peau fine, des veinules mauves – ouvrait une cascade lumineuse d'étoiles à six pointes…

Pourtant, à gauche, au coin de l'étroite rue des Sœurs, Tatave, le fou qu l'on disait inoffensif, poussait une clameur horrible sans qu'un trait de sa figure bougeât… N'importe, je m'ennuyais.

– Qu'est-ce que tu lis, Juliette ?… Dis, Juliette, qu'est-ce que tu lis ?… Juliette !…

La réponse tardait, tardait à venir, comme si des lieues d'espace et de silence nous eussent séparées.

– Fromont jeune et Risler aîné .

Ou bien :

– La Chartreuse de Parme .

La Chartreuse de Parme, le Vicomte de Bragelonne, Monsieur de Camors, le Vicaire de Wakefield, la Chronique de Charles IX, la Terre, Lorenzaccio, les Monstres parisiens, Grande Maguet, les Misérables… Des vers aussi, moins souvent. Des feuilletons du Temps , coupés et cousus ; la collection de la Revue des Deux Mondes , celle de la Revue Bleue, celle du Journal des Dames et des Demoiselles , Voltaire et Ponson du Terrail… Des romans bourraient les coussins, enflaient la corbeille à ouvrage, fondaient au jardin, oubliés sous la pluie. Ma sœur auxlongs cheveux ne parlait plus, mang eait à peine, nous rencontrait avec surprise dans la maison, s'éveillait en sursaut si l'on sonnait…

Ma mère se fâcha, veilla la nuit pour éteindre la lampe et confisquer les bougies : ma sœur aux longs cheveux, enrhumée, réclama dans sa chambre une veilleuse pour la tisane chaude, et lut à la flamme de la veilleuse. Après la veilleuse, il y eut les boîtes d'allumettes et le clair de lune. Après le clair de lune… Après le clair de lune, ma sœur aux longs cheveux, épuisée de romanesque insomnie, eut la fièvre, et la fièvre ne céda ni aux compresses, ni à l'eau purgative.

– C'est une typhoïde, dit un matin le docteur Pomié.

– Une typhoïde ? oh ! voyons, docteur… Pourquoi ? Ce n'est

pas votre dernier mot ?

Ma mère s'étonnait, vaguement scandalisée, pas encore inquiète. Je me souviens qu'elle se tenait sur le perron, agitant gaiement, comme un mouchoir, l'ordonnance du docteur Pomié.

– Au revoir, docteur !… À bientôt !… Oui, oui, c'est ça, revenez demain !

Son embonpoint agile occupait tout le perron, et elle grondait le chien qui ne voulait pas rentrer. L'ordonnance aux doigts, elle alla, avec une moue de doute, retrouver ma sœur, que nous avions laissée endormie et murmuran te dans la fièvre. Juliette ne dormait plus ; les yeux mongols, les quatre tresses luisaient, noirs, sur le lit blanc.

– Tu ne te lèveras pas aujourd'hu i, ma chérie, dit ma mère. Le docteur Pomié a bien recommandé… Veux-tu boire de la citronnade fraîche ? Veux-tu que je refasse un peu ton lit ?

Ma sœur aux longs cheveux ne répondit pas tout de suite. Pourtant, ses yeux obliques nous co uvraient d'un regard actif, où errait un sourire nouveau, un sourire apprêté pour plaire. Au bout d'un court moment :

– C'est vous, Catulle ? demanda-t-elle d'une voix légère.

Ma mère tressaillit, avança d'un pas.

– Catulle ? Qui, Catulle ?

– Mais Catulle Mendès, répliqua la voix légère. C'est vous ?

Vous voyez, je suis venue. J'ai mis vos cheveux blonds dans le médaillon ovale. Octave Feuillet es t venu ce matin, mais quelle différence !… Rien que d'après sa photographie, j'avais jugé… J'ai horreur des favoris. D'ailleurs, je n'aime que les blonds. Est-ce que je vous ai dit que j'avais mis un peu de pastel rouge sur votre photographie, à l'endroit de la bouche ? C'est à cause de vos vers… Ce doit être ce petit poin t rouge qui me fait mal dans la tête, depuis… Non, nous ne rencontrerons personne… Je ne connais d'ailleurs personne dans ce pays. C'est à cause de ce petit point rouge… et du baiser… Catulle … Je ne connais personne ici.

Devant tous, je le déclare bien haut, c'est vous seul, Catulle…

Ma sœur cessa de parler, se plaignit d'une manière aigre et intolérante, se tourna vers le mu r et continua de se plaindre beaucoup plus bas, comme de très loin. Une de ses tresses barrait son visage, brillante, ronde, gorgée de vie. Ma mère, immobile, avait penché la tête pour mieux entendre et regardait, avec une sorte d'horreur, cette étrangère qui n'appelait à elle, dans son délire, que des inconnus. Puis elle regarda autour d'elle, m'aperçut, m'ordonna précipitamment :

–Va t'en en bas…

Et, comme saisie de honte, elle cacha son visage dans ses deux mains.

MATERNITÉ

Sitôt mariée, ma sœur aux longs cheveux céda aux suggestions de son mari, de sa belle-famille, et cessa de nous voir, tandis que s'ébranlait l'appareil redoutable des notaires et des avoués. J'avais onze, douze ans, et ne comprenais rien à des mots comme « tutelle imprévoyante, prodigalité inexcusable », qui visaient mon père. Une rupture su ivit entre le jeune ménage et mes parents. Pour mes frères et moi, elle ne fit pas grand changement. Que ma demi-sœur – cette fille gracieuse et bien faite, kalmoucke de visage, acca blée de cheveux, chargée de ses tresses comme d'autant de chaîne s – s'enfermât dans sa chambre tout le jour ou s'exilât avec un mari dans une maison voisine, nous n'y voyions ni différence ni inconvénient. D'ailleurs, mes frères, éloignés, ressentirent seulement les secousses affaiblies d'un drame qui tenait attentif tout notre village. Une tragédie familiale, dans une grande ville, évolue discrètement, et ses héros peuvent sans bruit se meurtrir. Mais le village qui vit toute l'année dans l'inanition et la pa ix, qui trompe sa faim avec de maigres ragots de braconnage et de galanterie, le village n'a pas de pitié et personne n'y détourne la tête, par délicatesse charitable, sur le passage d'une femme que des plaies d'argent ont, en moins d'un jour, appauvrie d'une enfant.

On ne parla que de nous. On fit queue le matin à la boucherie de Léonore pour y rencontrer ma mère et la contraindre à livrer un peu d'elle-même. Des créatures qui, la veille, n'étaient pourtant pas sanguinaires, se partageaient quelques-uns de ses précieux pleurs, quelques plaintes arrachées à son indignation maternelle. Elle revenait épuisée, avec le souffle précipité d'une bête poursuivie. Elle reprenait courage dans sa maison, entre mon père et moi, taillait le pain pour les poules, arrosait le rôti embroché, clouait, de toute la force de ses petites mains emmanchées de beaux bras, une caisse pour la chatte près de mettre bas, lavait mes cheveux au jaune d'œuf et au rhum. Elle mettait, à dompter son chagrin, une sorte d'art cruel, et parfois je l'entendis chanter. Mais, le soir, elle montait fermer elle-même les persiennes du premier étage, pour regarder – séparés de notre jardin d'En-Face par un mur mi toyen – le jardin, la maison qu'habitait ma sœur. Elle voyait des planches de fraisiers, des pommiers en cordons et des touffes de phlox, trois marches qui menaient à un perron-terrasse meublé d'orangers en caisses et de sièges d'osier. Un soir – j'étais derrière elle – nous reconnûmes sur l'un des sièges un châle violet et or, qui datait de la dernière convalescence de ma sœur aux longs cheveux. Je m'écriai : « Ah ! tu vois, le châle de Juliette ? » et ne reçus pas de réponse. Un bruit saccadé et bizarre, comme un rire qu'on étouffe, décrut avec les pas de ma mère dans le corridor, quand elle eut fermé toutes les persiennes.

Des mois passèrent, et rien ne changea. La fille ingrate demeurait sous son toit, passait ra ide devant notre seuil, mais il lui arriva, apercevant ma mère à l'improviste, de fuir comme une fillette qui craint la gifle. Je la rencontrais sans émoi, étonnée devant cette étrangère qui portait des chapeaux inconnus et des robes nouvelles.

Le bruit courut, un jour, qu'elle allait mettre un enfant au monde. Mais je ne pensais plus guère à elle, et je ne fis pas attention que, dans ce moment-là, justement, ma mère souffrit de demi-syncopes nerveuses, de vertig es d'estomac, de palpitations. Je me souviens seulement que l'aspect de ma sœur déformée, alourdie, me remplit de confusion et de scandale...

Des semaines encore passèrent... Ma mère, toujours vive, active, employa son activité d'une manière un peu incohérente. Elle sucra un jour la tarte aux fraise s avec du sel, et au lieu de s'en désoler, elle accueillit les reproches de mon père avec un visage fermé et ironique qui me bouleversa.

Un soir d'été, comme nous finissions de dîner tous les trois, une voisine entra tête nue, nous souhaita le bonsoir d'un air apprêté, glissa dans l'oreille de ma mère deux mots mystérieux, et repartit aussitôt. Ma mère soupira : « Ah ! mon Dieu... » et resta debout, les mains appuyées sur la table.

– Qu'est-ce qu'il y a ? demanda mon père.

Elle cessa avec effort de contempler fixement la flamme de la lampe et répondit :

– C'est commencé... là-bas...

Je compris vaguement et je gagnai, plus tôt que d'habitude, ma chambre, l'une des trois chambres qui donnaient sur le jardin d'En-Face. Ayant éteint ma lampe, j'ouvris ma fenêtre pour guetter, au bout d'un jardin violacé de lune, la maison mystérieuse qui tenait clos tous ses volets. J'écoutai, comprimant mon cœur battant contre l'appui de la fenêtre. La nuit villageoise imposait son silence et je n'entendis que l'aboiement d'un chien, les griffes d'un chat qui lacéraient l'écorce d'un arbre. Puis une ombre en peignoir blanc – ma mère – traversa la rue, entra dans le jardin d'En-Face. Je la vis lever la tête, mesurer du regard le mur mitoyen comme si elle espérait le franchir. Puis elle alla et vint dans la courte allée du mi lieu, cassa machinalement un petit rameau de laurier odorant qu'elle froissa. Sous la lumière froide de la pleine lune, aucun de ses gestes ne m'échappait. Immobile, la face vers le ciel, elle écoutait, elle attendait. Un cri long, aérien, affaibli par la distance et les clôtures, lui parvint en même temps qu'à moi, et elle jeta avec vi olence ses mains croisées sur sa poitrine. Un second cri, soutenu sur la même note comme le début d'une mélodie, flotta dans l' air, et un troisième... Alors je vis ma mère serrer à pleines mains ses propres flancs, et tourner sur elle-même, et battre la terre de ses pieds, et elle commença d'aider, de doubler, par un gémissement bas, par l'oscillation de son corps tourmenté et l'étreinte de ses bras inutiles, par toute sa douleur et sa force maternelles, la douleur et la force de la fille ingrate qui, si loin d'elle, enfantait.

« MODE DE PARIS »

« Vingt sous les premières, dix sous les secondes, cinq sous les enfants et les personnes debout. » Tel était autrefois le tarif de nos divertissements artistiques quand une troupe de comédiens ambulants s'arrêtait, pour un soir, dans mon village natal.

L'appariteur, chargé d'avertir les treize cents âmes du chef-lieu de canton, annonçait l'événement le matin, vers dix heures, au son du tambour. La ville prenait feu sur son passage. Des enfants, comme moi, sautaient sur place avec des cris aigus. Des jeunes filles, encornées de bigoudis, se tenaient immobiles un moment et

frappées de stupeur heureuse, puis couraient comme sous la grêle. Et ma mère se plaignait, non sans mauvaise foi : « Grands dieux ! Minet-Chéri, tu ne vas pas me traîner au Supplice d'une femme ? C'est si ennuyeux ! La femme au supplice, ce sera moi... » Cependant elle préparait les cisailles et les madeleines

pour gaufrer elle-même son plus joli « devant » de lingerie fine...

Lampes fumeuses à réflecteurs de fer-blanc, banquettes plus dures que les bancs de l'école, décor de toile peinte écaillée, acteurs aussi mornes que des animau x captifs, de quelle tristesse vous ennoblissiez mon plaisir d'un soir... Car les drames m'imprégnaient d'une horreur froide, et je n'ai jamais pu m'égayer, toute petite, à des vaudevilles en loques, ni faire écho à des rires de comique souffreteux.

Quel hasard amena un jour chez nous, pourvue de décors, de costumes, une vraie troupe de comédiens nomades, tous gens vêtus proprement, point trop maigres, gouvernés par une sorte d'écuyer botté, à plastron de piqu é blanc ? Nous n'hésitâmes pas à verser trois francs par personne pour entendre la Tour de Nesle,

mon père, ma mère et moi. Mais le nouveau tarif épouvanta notre village parcimonieux, et, dès le lendemain, la troupe nous quittait pour planter ses tentes à X..., petite ville voisine, aristocratique et coquette, tapie au pied de son château, prosternée devant ses châtelains titrés. La Tour de Nesle y fit salle comble, et la

châtelaine félicita publiquement, après le spectacle, M. Marcel d'Avricourt, grand premier rôle, un long jeune homme agréable, qui maniait l'épée comme une badine et voilait, sous des cils touffus, de beaux yeux d'antilope. Il n'en fallait pas tant pour qu'on s'étouffât, le lendemain soir, à Denise. Le surlendemain, un

dimanche, M. d'Avricourt assistait, en jaquette, à la messe d'onze heures, offrait l'eau bénite à deux jeunes filles rougissantes, et s'éloignait sans lever les yeux sur leur émoi – discrétion que le Tout-X... louait encore, quelques heures plus tard, à la matinée d' Hernani, où l'on refusa du monde.

La femme du jeune notaire d'X... n'avait pas froid aux yeux. Elle se permettait les décisions brusques et gamines d'une femme qui copiait les robes de « ces dames du château », chantait en s'accompagnant elle-même et portait les cheveux à la chien. Le jour d'après, au petit matin, elle s'en alla commander un vol-au-vent à l'hôtel de la Poste, où logeait M. d'Avricourt, et écouta le bavardage de la patronne :

– Pour huit personnes, madame ? Samedi sept heures, sans faute ! Je verse le lait chaud de M. d'Avricourt et j'inscris la commande... Oui, madame, il loge ici... Ah ! madame, on ne dirait jamais un comédien ! Une voix co mme une jeune fille... Et sitôt sa promenade faite après le déjeuner, il rentre dans sa chambre et il

prend son ouvrage.

– Son ouvrage ?

– Il brode, madame ! Une vraie fée ! Il finit un dessus de piano au passé, on l'exposerait ! Ma fille a relevé le dessin...

La femme du jeune notaire guetta le jour même M. d'Avricourt, rêveur sous les tilleuls, l'aborda, et s'enquit d'un certain dessus de piano dont le dessin et l'exécution... M. d'Avricourt rougit, voila d'une main ses yeux de gazelle, fit deux ou trois petits cris bizarres et jeta quelques mots embarrassés :

– Enfantillages !... Enfantillages que la mode de Paris

encourage...

Un geste de chasse-mouches, d'une afféterie gracieuse, termina la phrase. À quoi la notairesse répliqua par une invitation à prendre le thé.

– Oh ! un petit thé intime où chacun peut apporter son ouvrage...

Dans la semaine, le Gendre de M. Poirier allait aux nues, en compagnie d' Hernani, du Bossu et des Deux Timides, portés par l'enthousiasme d'un public jamais las. Chez la receveuse de l'enregistrement, chez la pharmacienne et la perceptrice, M. d'Avricourt imposait la couleur de ses cravates, sa manière de marcher, de saluer, de pousser, parmi les éclats cristallins de son rire, de petits gloussements aigus, d'appuyer une main sur sa hanche comme sur une garde d'épée – et de broder. L'écuyer botté, gouverneur de la troupe connaissait de douces heures, envoyait des mandats au Crédit Lyonnais et s'attablait l'après-midi au café de la Perle, en compagnie du père noble, du comique au grand nez et de la coquette un peu camuse.

Ce fut le moment que choisit le châtelain, absent depuis une quinzaine, pour revenir de Paris et quérir les bons avis du notaire de X... Il trouva la notairesse qui servait le thé. Près d'elle, le premier clerc de l'étude, un géant osseux et ambitieux, comptait ses points sur l'étamine bien tendue d'un tambour. Le fils du pharmacien, petit noceur à figure de cocher, entrelaçait des initiales sur un napperon, et le gros Glaume, veuf à marier, remplissait de laine alternativement magenta et vieil or les quadrillages d'une pantoufle. Jusq u'au vieux M. Demange, tout tremblotant, qui s'essayait su r un gros canevas... Debout, M. d'Avricourt récitait des vers, encensé par les soupirs des femmes oisives, et son regard oriental ne s'abaissait point sur

elles.

Je n'ai jamais su au juste par quelles brèves paroles, ou par quel silence plus sévère, le châtel ain flétrit la « dernière mode de Paris » et éclaira l'aveuglement étrange de ces braves gens qui le regardaient, l'aiguille en l'air. Mais j'entendis maintes fois raconter que le lendemain matin la troupe levait le camp, et qu'à l'hôtel de la Poste il ne restait rien de Lagardère, d'Hernani, du gendre impertinent de M. Poirier – rien, qu'un écheveau de soie et un dé oubliés.




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