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Henry Murger. Scènes de la vie de bohème

Категория: Немецкий язык

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Разработка посвящена почти не известному в России французскому писателю 19 века Анри Мюрже. Содержит интересный отрывок из его романа "Сцены из жизни богемы" и учебные материалы к нему.

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«Henry Murger. Scènes de la vie de bohème»

Henry Murger. Scènes de la vie de bohème 



I. Lisez le texte et répondez aux questions :


1. Qui est Henry Murger ? Dans quelle famille est-il né ?

2 Par quel ouvrage a-t- il connu la célébrité ?

4. Quel portrait en font les frères Goncourt ?

5. Quel est le monde de cet ouvrage ?

6. Qu’est-ce qu’en ont tiré Giacomo Puccini, Marcel L'Herbier et Aki Kaurismaki ?

7. Quelles étaient les activités d’ Henry Murger  ?

7. Quels ouvrages a-t-il écrits ?

Henry Murger

Henry Murger est un écrivain français, né le 27 mars 1822 à Paris, mort le 29 janvier 1861 à Paris.

Fils d'un concierge-tailleur et d'une ouvrière, Louis Henry Murger passe sa jeunesse parmi les « Buveurs d'Eau » (car n'ayant pas assez d'argent pour s'offrir une autre boisson au comptoir), un groupe d'artistes-bohémiens du Quartier latin que.

Ami avec les grands noms de la littérature, il connaîtra la célébrité en publiant les Scènes de la vie de bohème, un feuilleton de l'école réaliste dans lequel il met en scène ses amis, sous des noms les masquant à peine. Ce monde de grandes misères et de petites joies, de flambées idéalistes et de navrantes retombées sur terre, est décrit avec un réalisme qui n'exclut ni l'humour, ni la tendresse, ni même le pathétique. Avec ses archétypes d'artistes ratés et de grisettes, Murger impose sa vision de la bohème, phénomène sociologique né avec le romantisme, mais qui se prolongera bien au-delà.

Ami des frères Goncourt, ceux-ci en font un portrait dans leur Journal le 27 décembre 1857 : «C'est étonnant comme cette intelligence n'est faite pour aucun des plaisirs sérieux de l'intelligence, ni les goûte ni les sent et est depaysée dans une conversation un peu haute, comme une convive de goguette dans un dîner diplomatique. »

Le compositeur italien Giacomo Puccini en a tiré son opéra, La Bohème, en 1896. Marcel L'Herbier et Aki Kaurismaki l'ont porté au cinéma.

Secrétaire du comte Tolstoï, collaborateur de différentes revues littéraires dont la Revue des deux Mondes, il fut auteur dramatique à succès.

Ballades et fantaisies (1854) et Les Nuits d'hiver (1864) sont ses deux recueils de poésie. L'un de ses compères, Théodore de Banville, célèbre les héroïnes de Murger par un poème tout simplement intitulé « À Henri Murger » (Odelettes, 1856).

Il est mort à la maison de santé municipale à Paris le 29 janvier 1861.



II. Lisez le résumé du roman Scènes de la vie de bohème  et répondez aux questions :



1. Où et quand se déroule l’action de ce roman ?

2. Quels sont les problèmes essentiels qui y sont soulevés ?

3 Comment est définie la bohème ?

4. Quels types de bohème sont distingués ?

5. Nommez les personnages du roman.


Scènes de la vie de bohème est une œuvre littéraire de Henry Murger publiée en 1851 qui a donné lieu à de nombreuses adaptations au théâtre, à l'opéra et au cinéma et constitue un document majeur concernant la vie de bohème à Paris au xixe siècle.

Murger définit la bohème comme constituée par des artistes, essentiellement pauvres, dont les antécédents se trouvent jusque dans l’Antiquité grecque et dont l’histoire comprend les noms les plus illustres. Ce sont des artistes vagabonds (en ce sens des bohémiens). Murger exclut les filous et les assassins de la bohème. Est bohème « tout homme qui entre dans les arts sans autre moyen d’existence que l’art lui-même ». La bohème est un état social transitoire qui peut déboucher aussi bien sur la reconnaissance (« l’Académie ») que sur la maladie (« l’Hôtel-Dieu ») ou la mort (« la Morgue »). La bohème n’est possible, pour Murger, qu’à Paris (elle n’est pas possible en province).

Murger distingue trois types de bohème :

  • la bohème ignorée : les « artistes pauvres » condamnés à l'incognito parce qu’ils ne savent pas ou ne peuvent pas trouver un coin de publicité pour attester leur existence dans l’art. L'art est pour eux une foi et non un métier. Ce sont les disciples de « l'art pour l'art ». Ils sont « naïfs » pour Murger et condamnés à la misère et à la mort précoce. Ils laissent quelquefois une œuvre que le monde admire seulement plus tard ;

  • les amateurs : ils trouvent dans la vie de bohème une forme de séduction. Ils choisissent volontairement la misère alors qu'ils ont un avenir honorable, par opposition à leur famille. Certains finissent par devenir notaires en province, d'autres meurent dans l'obscurité. Ils n'ont rien de commun avec l'art. C'est une fausse bohème ;

  • la vraie bohème : elle est composée des artistes qui ont des chances de réussir et qui sont déjà connus dans le monde littéraire ou artistique. La misère n'est pour eux qu'un moment transitoire. Ces artistes sont ambitieux et savent résoudre les problèmes posés par le quotidien : « leur existence de chaque jour est une œuvre de génie ». Ils parlent un langage particulier où se côtoient tous les styles, de l'argot populaire à la rhétorique la plus audacieuse. Tels sont les héros du livre.

La fin de la vie de bohème correspond à la fin de la jeunesse. Elle peut se terminer par la mort ou par la réussite. La réussite (la bourgeoisie) est une façon de continuer sa vie dans l'apostasie de l'idéal de jeunesse suivant le principe : plutôt renier la bohème qu'y mourir. Telle serait en définitive la morale du livre.

Les personnages sont de jeunes artistes ou intellectuels démunis qui vivent à Paris. Ils ont entre vingt et trente ans en 1845 :

  • Henri Murger lui-même devient le poète Rodolphe ;

  • Alexandre Schanne devient le musicien Schaunard ;

  • François Tabar devient le peintre Marcel ;

  • Joseph Desbrosses devient le sculpteur Jacques ;

  • Charles Barbara devient le journaliste Carolus Barbemuche ;

  • Jean Wallon devient le philosophe Gustave Colline.

Les lieux

  • Le Café Momus, 17, rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois, près du Louvre, où se retrouvent Rodolphe, Marcel, Schaunard et Colline.

  • Le Prado, bal public sur l’île de la Cité aujourd’hui démoli où Rodolphe rencontre Louise.

  • Rodolphe habite rue de la Tour-d’Auvergne, près de Montmartre, comme Henry Murger lui-même.

  • Colline habite l’île Saint-Louis.

  • Marcel a son atelier sur le quai aux Fleurs.

  • Musette déménage de la rue de la Harpe pour la rue de la Bruyère lorsqu’elle devient une lorette.

Bien que les Scènes de la vie de bohème soient communément considérées comme un roman, elles n'en suivent pas la forme. Elles sont une suite d'histoires publiées sous forme de feuilleton. Le cadre en est le Quartier latin de Paris dans les années 1840. La plupart des scènes furent publiées de façon indépendante par Murger dans la revue littéraire Le Corsaire. Leur forme est en partie autobiographique. Elles mettent en scène des individus ayant réellement existé et qui pouvaient être familiers des lecteurs de cette revue.

La popularité de la pièce de théâtre suscita une demande pour la publication des histoires. Murger réalisa une compilation de la plupart des scènes en un seul recueil. Pour aider à la continuité de l'ensemble, il ajouta également du matériau nouveau. Une préface discute la signification du concept de « bohémien » et un nouveau premier chapitre sert d'introduction pour le cadre et les principaux personnages. Deux chapitres supplémentaires sont ajoutés à la fin qui offre des pensées conclusives sur la vie de bohème. C'est ce qui devint le roman paru en janvier 1851 sous le titre Scènes de la bohême (sic). Une nouvelle édition parut l'année suivante dans laquelle Murger ajouta encore une histoire.


III. Lisez le fragment du roman Scènes de la vie de bohème  et répondez aux questions :


1. Où et quand se déroule l’action de cet extrait?

2. Quels sont les problèmes qui y sont soulevés ?

3. Quel problème est résolu par Monsieur Schaunard ? De quelle manière ?

4. Quel était le rôle du portier de la maison ?

5. Qui est M.Bernard ?

6. Quelle lettre a-t-il reçue ? Quelle était le ton de la lettre ?

7. Quelle était la réaction de M.Bernard ?

8. Comment était le jeune homme au chapeau blanc ?

9. Que d’étrange y avait-il dans sa conduite ?

10. Quelle conversation s’est passée entre lui et le propriétaire ?

11. Comment a-t-on arrangé l’affaire avec le logement du peintre Marcel ?

12. De quoi s’occupait Schaunard?

13. Quelles habitudes d’emprunt avait-il ?

14. Comment était sa collaboration  des lettres m v et r de sa liste?

15. Qu’est-ce qui s‘est passé avec la lettre u ?

16. Comment était l’établissement La mère Cadet ?

17. Qui jetait à Schaunard des hameçons à la causerie ? Comment était ce personnage ?

18. Quel incident a engagé la conversation et leur connaissance ?

19. Qui était Gustave Colline ?

20. Donnez la caractéristique d’un des personnages de cet extrait.

21. Quels détails ou faits ont une grande valeur dans la narration ?



Onze heures sonnèrent au clocher prochain; chaque coup du timbre entrait dans la chambre et s'y perdait en sons railleurs qui semblaient dire au malheureux Schaunard: Es-tu prêt?

L'artiste bondit sur sa chaise.

– Le temps court comme un cerf, dit-il… il ne me reste plus que trois quarts d'heure pour trouver mes soixante-quinze francs et mon nouveau logement. Je n'en viendrai jamais à bout, ça rentre trop dans le domaine de la magie. Voyons, je m'accorde cinq minutes pour trouver, et, s'enfonçant la tête entre les deux genoux, il descendit dans les abîmes de la réflexion.

Les cinq minutes s'écoulèrent, et Schaunard redressa la tête sans avoir rien trouvé qui ressemblât à soixante-quinze francs.

– Je n'ai décidément qu'un parti à prendre pour sortir d'ici, c'est de m'en aller tout naturellement; il fait beau temps, mon ami le hasard se promène peut-être au soleil. Il faudra bien qu'il me donne l'hospitalité jusqu'à ce que j'aie trouvé le moyen de me liquider avec M. Bernard.

Schaunard, ayant bourré de tous les objets qu'elles pouvaient contenir les poches de son paletot, profondes comme des caves, noua ensuite dans un foulard quelques effets de linge et quitta sa chambre, non sans adresser en quelques paroles ses adieux à son domicile.

Comme il traversait la cour, le portier de la maison, qui semblait le guetter, l'arrêta soudain.

– Hé, Monsieur Schaunard, s'écria-t-il en barrant le passage à l'artiste, est-ce que vous n'y pensez pas? C'est aujourd'hui le 8.

Huit et huit font seize,

J'pose six et retiens un,

fredonna Schaunard; je ne pense qu'à ça!

– C'est que vous êtes un peu en retard pour votre déménagement, dit le portier; il est onze heures et demie, et le nouveau locataire à qui on a loué votre chambre peut arriver d'un moment à l'autre. Faudrait voir à se dépêcher!

– Alors, répondit Schaunard, laissez-moi donc passer: je vais chercher une voiture de déménagement.

– Sans doute, mais auparavant de déménager il y a une petite formalité à remplir. J'ai ordre de ne pas vous laisser enlever un cheveu sans que vous ayez payé les trois termes échus. Vous êtes en mesure probablement?

– Parbleu! dit Schaunard, en faisant un pas en avant.

– Alors, reprit le portier, si vous voulez entrer dans ma 

loge, je vais vous donner vos quittances.

– Je les prendrai en revenant.

– Mais pourquoi pas tout de suite? dit le portier avec insistance.

– Je vais chez le changeur… je n'ai pas de monnaie.

– Ah! ah! reprit l'autre avec inquiétude, vous allez chercher de la monnaie? Alors, pour vous obliger, je garderai ce petit paquet que vous avez sous le bras et qui pourrait vous embarrasser.

– Monsieur le concierge, dit Schaunard avec dignité, est-ce que vous vous méfieriez de moi, par hasard? Croyez-vous donc que j'emporte mes meubles dans un mouchoir?

– Pardonnez-moi, monsieur, répliqua le portier en baissant un peu le ton, c'est ma consigne. M. Bernard m'a expressément recommandé de ne pas vous laisser enlever un cheveu avant que vous ne l'ayez payé.

– Mais regardez donc, dit Schaunard en ouvrant son paquet, ce ne sont pas des cheveux, ce sont des chemises que je porte à la blanchisseuse qui demeure à côté du changeur, à vingt pas d'ici.

– C'est différent, fit le portier après avoir examiné le contenu du paquet. Sans indiscrétion, M. Schaunard, pourrais-je vous demander votre nouvelle adresse?

– Je demeure rue de Rivoli, répondit froidement l'artiste qui, ayant mis le pied dans la rue, gagna le large au plus vite.

– Rue de Rivoli, murmura le portier en se fourrant les doigts dans son nez, c'est bien drôle qu'on lui ait loué rue de Rivoli, et qu'on ne soit pas même venu prendre des renseignements ici, c'est bien drôle ça. Enfin il n'emportera pas toujours ses meubles sans payer. Pourvu que l'autre locataire n'arrive pas emménager juste au moment où M. Schaunard déménagera! ça me ferait un aria dans mes escaliers. Allons, bon, fit-il tout à coup en passant la tête au travers du vasistas, le voilà justement, mon nouveau locataire.

Suivi d'un commissionnaire qui paraissait ne point plier sous son faix, un jeune homme coiffé d'un chapeau blanc Louis xiii venait en effet d'entrer sous le vestibule.

– Monsieur, demanda-t-il au portier qui était allé au-devant de lui, mon appartement est-il libre?

– Pas encore, monsieur, mais il va l'être. La personne qui l'occupe est allée chercher la voiture qui doit la déménager. Au reste, en attendant, monsieur pourrait faire déposer ces meubles dans la cour.

– Je crains qu'il ne pleuve, répondit le jeune homme en mâchant tranquillement un bouquet de violettes qu'il tenait entre les dents; mon mobilier pourrait s'abîmer. Commissionnaire, ajouta-t-il, en s'adressant à l'homme qui était resté derrière lui, porteur d'un crochet chargé d'objets dont le portier ne s'expliquait pas bien la nature, déposez cela sous le vestibule, et retournez à mon ancien logement prendre ce qu'il y reste encore de meubles précieux et d'objets d'art.

Le commissionnaire rangea au long d'un mur plusieurs châssis d'une hauteur de six ou sept pieds et dont les feuilles, reployées en ce moment les unes sur les autres, paraissaient pouvoir se développer à volonté.

– Tenez! dit le jeune homme au commissionnaire en ouvrant à demi l'un des volets et en lui désignant un accroc qui se trouvait dans la toile, voilà un malheur, vous m'avez étoilé ma grande glace de Venise; tâchez de faire attention dans votre second voyage, prenez garde surtout à ma bibliothèque.

– Qu'est-ce qu'il veut dire avec sa glace de Venise? Marmotta le portier en tournant d'un air inquiet autour des 

châssis posés contre le mur, je ne vois pas de glace; mais c'est une plaisanterie sans doute, je ne vois qu'un paravent; enfin, nous allons bien voir ce qu'on va apporter au second voyage.

– Est-ce que votre locataire ne va pas bientôt me laisser la place libre? Il est midi et demi et je voudrais emménager, dit le jeune homme.

– Je ne pense pas qu'il tarde maintenant, répondit le portier; au reste, il n'y a pas encore de mal, puisque vos meubles ne sont pas arrivés, ajouta-t-il en appuyant sur ces mots.

Le jeune homme allait répondre, lorsqu'un dragon en fonction de planton entra dans la cour.

– M. Bernard? demanda-t-il en tirant une lettre d'un grand portefeuille de cuir qui lui battait les flancs.

– C'est ici, répondit le portier.

– Voici une lettre pour lui, dit le dragon, donnez-m'en le reçu, et il tendit au concierge un bulletin de dépêches, que celui-ci alla signer dans sa loge.

– Pardon si je vous laisse seul, dit le portier au jeune homme qui se promenait dans la cour avec impatience; mais voici une lettre du ministère pour M. Bernard, mon propriétaire, et je vais la lui montrer.

Au moment où son portier entrait chez lui, M. Bernard était en train de se faire la barbe.

– Que me voulez-vous, Durand?

– Monsieur, répondit celui-ci en soulevant sa casquette, c'est un planton qui vient d'apporter cela pour vous, ça vient du ministère.

Et il tendit à M. Bernard la lettre dont l'enveloppe était timbrée au sceau du département de la guerre.

– Ô mon Dieu! fit M. Bernard, tellement ému qu'il failli se faire une entaille avec son rasoir, du ministère de la guerre! Je suis sûr que c'est ma nomination au grade de chevalier de la légion d'honneur, que je sollicite depuis si longtemps enfin, on rend justice à ma bonne tenue. Tenez, Durand, dit-il en fouillant dans la poche de son gilet, voilà cent sous pour boire à ma santé. Tiens, je n'ai pas ma bourse sur moi je vais vous les donner tout à l'heure, attendez.

Le portier fut tellement ému par cet accès de générosité foudroyante, auquel son propriétaire ne l'avait pas habitué, qu'il remit sa casquette sur sa tête.

Mais M. Bernard, qui en d'autres moments aurait sévèrement blâmé cette infraction aux lois de la hiérarchie sociale, ne parut pas s'en apercevoir. Il mit ses lunettes, rompit l'enveloppe avec l'émotion respectueuse d'un vizir qui reçoit un firman du sultan, et commença la lecture de la dépêche. Aux premières lignes, une grimace épouvantable creusa des plis cramoisis dans la graisse de ses joues monacales, et ses petits yeux lancèrent des étincelles qui faillirent mettre le feu aux mèches de sa perruque en broussailles.

Enfin tous ses traits étaient tellement bouleversés qu'on eût dit que sa figure venait d'éprouver un tremblement de terre.

Voici quel était le contenu de la missive écrite sur papier à tête du ministère de la guerre, apportée à franc étrier par un dragon, et de laquelle M. Durand avait donné un reçu au gouvernement.

«Monsieur et propriétaire,

La politesse qui, si l'on en croit la mythologie, est l'aïeule des belles manières, m'oblige à vous faire savoir que je me trouve dans la cruelle nécessité de ne pouvoir point satisfaire à l'usage qu'on a de payer son terme, quand on doit surtout. Jusqu'à ce matin, j'avais caressé l'espérance de pouvoir célébrer ce beau jour, en acquittant les trois quittances de mon loyer. Chimère, illusion, idéal! Tandis que je sommeillais sur l'oreiller de la sécurité, le guignon, anankè en grec, le guignon dispersait mes espérances. Les rentrées sur lesquelles je comptais, Dieu que le commerce va mal!!! Ne se sont pas opérées; et sur les sommes considérables que je devais toucher, je n'ai encore reçu que trois francs, qu'on m'a prêtés, je ne vous les offre pas. Des jours meilleurs viendront pour notre belle France et pour moi, n'en doutez pas, monsieur. Dès qu'ils auront lui, je prendrai des ailes pour aller vous en avertir et retirer de votre immeuble les choses précieuses que j'y ai laissées, et que je mets sous votre protection et celle de la loi qui, avant un an, vous en interdit le négoce, au cas où vous voudriez le tenter afin de rentrer dans les sommes pour lesquelles vous êtes crédité sur le registre de ma probité. Je vous recommande spécialement mon piano, et le grand cadre dans lequel se trouvent soixante boucles de cheveux dont les couleurs différentes parcourent toute la gamme des nuances capillaires, et qui ont été enlevées sur le front des grâces par le scalpel de l'amour.

«Vous pouvez donc, monsieur et propriétaire, disposer des lambris sous lesquels j'ai habité. Je vous en octroie ma permission ici-bas revêtue de mon seing.

«Alexandre Schaunard.»

Lorsqu'il eut achevé cette épître que l'artiste avait écrite dans le bureau d'un de ses amis, employé au ministère de la guerre, M. Bernard la froissa avec indignation; et comme son regard tomba sur le père Durand, qui attendait la gratification promise, il lui demanda brutalement ce qu'il faisait là.

– J'attends, monsieur!

– Quoi?

– Mais la générosité que monsieur… à cause de la bonne nouvelle! Balbutia le portier.

– Sortez. Comment, drôle! Vous restez devant moi la tête couverte!

– Mais, Monsieur…

– Allons, pas de réplique, sortez, ou plutôt, non, attendez-moi. Nous allons monter dans la chambre de ce gredin d'artiste, qui déménage sans me payer.

– Comment, fit le portier, M. Schaunard?…

– Oui, continue le propriétaire, dont la fureur allait comme chez Nicollet. Et s'il a emporté le moindre objet, je vous chasse, entendez-vous? Je vous châââsse.

– Mais c'est impossible, ça, murmura le pauvre portier. M. Schaunard n'est pas déménagé; il est allé chercher de la monnaie pour payer monsieur, et commander la voiture qui doit emporter ses meubles.

– Emporter ses meubles! Exclama M. Bernard; courons, je suis sûr qu'il est en train; il vous a tendu un piége pour vous éloigner de votre loge et faire son coup, imbécile que vous êtes.

– Ah! mon Dieu! Imbécile que je suis! s'écria le père Durand tout tremblant devant la colère olympienne de son supérieur qui l'entraînait dans l'escalier.

Comme ils arrivaient dans la cour, le portier fut apostrophé par le jeune homme au chapeau blanc.

– Ah çà! Concierge, s'écria-t-il, est-ce que je ne vais pas bientôt être mis en possession de mon domicile? Est-ce aujourd'hui le 8 avril? N'est-ce pas ici que j'ai loué, et ne vous ai-je pas donné le denier à Dieu, oui ou non?

– Pardon, monsieur, pardon, dit le propriétaire, je suis à vous. Durand, ajouta-t-il en se tournant vers son portier, je vais répondre moi-même à Monsieur. Courez là-haut, ce gredin de Schaunard est sans doute rentré pour faire ses paquets; vous l'enfermerez si vous le surprenez, et vous redescendrez pour aller chercher la garde.

Le père Durand disparut dans l'escalier.

– Pardon, monsieur, dit en s'inclinant le propriétaire au jeune homme avec qui il était resté seul, à qui ai-je l'avantage de parler?

– Monsieur, je suis votre nouveau locataire; j'ai loué une chambre dans cette maison au sixième, et je commence à m'impatienter que ce logement ne soit pas vacant.

– Vous me voyez désolé, monsieur, répliqua M. Bernard, une difficulté s'élève entre moi et un de mes locataires, celui que vous devez remplacer.

– Monsieur, monsieur! s'écria d'une fenêtre située au dernier étage de la maison, le père Durand; M. Schaunard n'y est pas… mais sa chambre y est… Imbécile que je suis, je veux dire qu'il n'a rien emporté, pas un cheveu, monsieur.

– C'est bien, descendez, répondit M. Bernard. Mon Dieu reprit-il en s'adressant au jeune homme, un peu de patience, je vous prie. Mon portier va descendre à la cave les objets qui garnissent la chambre de mon locataire insolvable, et dans une demi-heure vous pourrez en prendre possession; d'ailleurs vos meubles ne sont pas encore arrivés.

– Pardon, monsieur, répondit tranquillement le jeune homme.

M. Bernard regarda autour de lui et n'aperçut que les grands paravents qui avaient déjà inquiété son portier.

– Comment! Pardon… comment… murmura-t-il, mais je ne vois rien.

– Voilà, répondit le jeune homme en déployant les feuilles du chassis et en offrant à la vue du propriétaire ébahi un magnifique intérieur de palais avec colonnes de jaspe, bas-reliefs, et tableaux de grands maîtres.

– Mais vos meubles? demanda M. Bernard.

– Les voici, répondit le jeune homme en indiquant le mobilier somptueux qui se trouvait peint dans le palais qu'il venait d'acheter à l'hôtel Bullion, où il faisait partie d'une vente de décorations d'un théâtre de société…

– Monsieur, reprit le propriétaire, j'aime à croire que vous avez des meubles plus sérieux que ceux-ci…

– Comment, du boule tout pur!

– Vous comprenez qu'il me faut des garanties pour mes loyers.

– Fichtre! Un palais ne vous suffit pas pour répondre du loyer d'une mansarde?

– Non, monsieur, je veux des meubles, des vrais meubles en acajou!

– Hélas, monsieur, ni l'or ni l'acajou ne nous rendent heureux, a dit un ancien. Et puis, moi, je ne peux pas le souffrir, c'est un bois trop bête, tout le monde en a.

– Mais enfin, monsieur, vous avez bien un mobilier, quel qu'il soit?

– Non, ça prend trop de place dans les appartements, dès qu'on a des chaises on ne sait plus où s'asseoir.

– Mais cependant vous avez un lit! Sur quoi reposez-vous?

– Je me repose sur la Providence, monsieur!

– Pardon, encore une question, dit M. Bernard, votre profession, s'il vous plaît.

En ce moment même le commissionnaire du jeune homme, arrivant de son second voyage, entrait dans la cour. 

Parmi les objets dont étaient chargés ses crochets, on remarquait un chevalet.

– Ah! Monsieur, s'écria le père Durand avec terreur; et il montrait le chevalet au propriétaire. C'est un peintre!

– Un artiste, j'en étais sûr! Exclama à son tour M. Bernard, et les cheveux de sa perruque se dressèrent d'effroi; un peintre!!! Mais vous n'avez donc pas pris d'information sur monsieur? reprit-il en s'adressant au portier. Vous ne saviez donc pas ce qu'il faisait?

– Dame, répondit le pauvre homme, il m'avait donnécinque francs de dernier à Dieu; est-ce que je pouvais me douter…

– Quand vous aurez fini, demanda à son tour le jeune homme.

– Monsieur, reprit M. Bernard en chaussant ses lunettes d'aplomb sur son nez, puisque vous n'avez pas de meubles, vous ne pouvez pas emménager. La loi autorise à refuser un locataire qui n'apporte pas de garantie.

– Et ma parole, donc? fit l'artiste avec dignité.

– Ça ne vaut pas des meubles… vous pouvez chercher un logement ailleurs. Durand va vous rendre votre denier à Dieu.

– Hein? fit le portier avec stupeur, je l'ai mis à la caisse d'épargne.

– Mais, monsieur, reprit le jeune homme, je ne puis pas trouver un autre logement à la minute. Donnez-moi au moins l'hospitalité pour un jour.

– Allez loger à l'hôtel, répondit M. Bernard. À propos, ajouta-t-il vivement en faisant une réflexion subite, si vous le voulez, je vous louerai en garni la chambre que vous deviez occuper, et où se trouvent les meubles de mon locataire insolvable. Seulement vous savez que dans ce genre de location le loyer se paye d'avance.

Il s'agirait de savoir ce que vous allez me demander pour ce bouge? dit l'artiste forcé d'en passer par là.

– Mais le logement est très-convenable, le loyer sera de vingt-cinq francs par mois, en faveur des circonstances. On paye d'avance.

– Vous l'avez déjà dit; cette phrase-là ne mérite pas les honneurs du bis, fit le jeune homme en fouillant dans sa poche. Avez-vous la monnaie de cinq cents francs?

– Hein? demanda le propriétaire stupéfait, vous dites?…

– Eh bien, la moitié de mille, quoi! Est-ce que vous n'en avez jamais vu? ajouta l'artiste en faisant passer le billet devant les yeux du propriétaire et du portier, qui, à cette vue, parurent perdre l'équilibre.

Je vais vous faire rendre, reprit M. Bernard respectueusement: ce ne sera que vingt francs à prendre, puisque Durand vous rendra le denier à Dieu.

– Je le lui laisse, dit l'artiste, à la condition qu'il viendra tous les matins me dire le jour et la date du mois, le quartier de la lune, le temps qu'il fera et la forme du gouvernement sous laquelle nous vivrons.

– Ah! Monsieur, s'écria le père Durand en décrivant une courbe de quatre-vingt-dix degrés.

– C'est bon, brave homme, vous me servirez d'almanach. En attendant vous allez aider mon commissionnaire à m'emménager.

– Monsieur, dit le propriétaire, je vais vous envoyer votre quittance.

Le soir même, le nouveau locataire de M. Bernard, le peintre Marcel, était installé dans le logement du fugitif Schaunard transformé en palais.

Pendant ce temps-là, ledit Schaunard battait dans Paris ce qu'on appelle le rappel de la monnaie.

Schaunard avait élevé l'emprunt à la hauteur d'un art. Prévoyant le cas où il aurait à opprimer des étrangers, il avait appris la manière d'emprunter cinq francs dans toutes les langues du globe. Il avait étudié à fond le répertoire des ruses que le métal emploie pour échapper à ceux qui le pourchassent; et, mieux qu'un pilote ne connaît les heures de marée, il savait les époques où les eaux étaient basses ou hautes, c'est-à-dire les jours où ses amis et connaissances avaient l'habitude de recevoir de l'argent. Aussi, il y avait une telle maison où en le voyant entrer le matin on ne disait pas: voilà M. Schaunard; mais bien: voilà le premier ou le quinze du mois. Pour faciliter et égaliser en même temps cette espèce de dîme qu'il allait prélever, lorsque la nécessité l'y forçait, sur les gens qui avaient le moyen de la lui payer, Schaunard avait dressé par ordre de quartiers et d'arrondissements un tableau alphabétique où se trouvaient les noms de tous ses amis et connaissances. En regard de chaque nom étaient inscrits le maximum de la somme qu'il pouvait leur emprunter relativement à leur état de fortune, les époques où ils étaient en fonds, et l'heure des repas avec le menu ordinaire de la maison. Outre ce tableau, Schaunard avait encore une petite tenue de livres parfaitement en ordre et sur laquelle il tenait état des sommes qui lui étaient prêtées jusqu'aux plus minimes fractions, car il ne voulait pas se grever au delà d'un certain chiffre qui était encore au bout de la plume d'un oncle normand dont il devait hériter. Dès qu'il devait vingt francs à un individu, Schaunard arrêtait son compte, et le soldait intégralement d'un seul coup, dût-il, pour s'acquitter, emprunter à ceux auxquels il devait moins. De cette manière il entretenait toujours sur la place un certain crédit qu'il appelait sa dette flottante; et comme on savait qu'il avait l'habitude de rendre dès que ses ressources personnelles le lui permettaient, on l'obligeait volontiers quand on le pouvait.

Or, depuis onze heures du matin qu'il était parti de chez lui pour tâcher de grouper les soixante-quinze francs nécessaires, il n'avait encore réuni qu'un petit écu, dû à la collaboration des lettres m v et r de sa fameuse liste: tout le reste de l'alphabet, ayant comme lui un terme à payer, l'avait renvoyé des fins de sa demande.

À six heures, un appétit violent sonna la cloche du dîner dans son estomac; il était alors à la barrière du Maine, où demeurait la lettre u. Schaunard monta chez la lettre u, où il avait son rond de serviette, quand il y avait des serviettes.

– Où allez-vous, monsieur? Lui dit le portier en l'arrêtant au passage.

– Chez M. U… répondit l'artiste.

– Il n'y est pas.

– Et madame?

– Elle n'y est pas non plus: ils m'ont chargé de dire à un de leurs amis qui devait venir chez eux ce soir qu'ils étaient allés dîner en ville: au fait, dit le portier, si c'est vous qu'ils attendaient, voici l'adresse qu'ils ont laissée, et il tendit à Schaunard un bout de papier sur lequel son ami U… avait écrit:

«Nous sommes allés dîner chez Schaunard, rue… numéro…; viens nous retrouver.»

– Très-bien, dit celui-ci en s'en allant, quand le hasard s'en mêle, il fait de singuliers vaudevilles.

Schaunard se ressouvint alors qu'il se trouvait à deux pas d'un petit bouchon où deux ou trois fois il s'était nourri pour pas bien cher, et se dirigea vers cet établissement, situé Chaussée du Maine, et connu dans la basse bohème sous le nom de la Mère Cadet. C'est un cabaret mangeant dont la clientèle ordinaire se compose des rouliers de la route d'Orléans, des cantatrices de Montparnasse et des jeunes premiers de bobino. Dans la belle saison les rapins des nombreux ateliers qui avoisinent le Luxembourg, les hommes de lettres inédits, les folliculaires des gazettes mystérieuses, viennent en chœur dîner chez la Mère Cadet, célèbre par ses gibelottes, sa choucroûte authentique, et un petit vin blanc qui sent la pierre à fusil.

Schaunard alla se placer sous les bosquets: on appelle ainsi chez la Mère Cadet le feuillage clair-semé de deux ou trois arbres rachitiques dont on a fait plafonner la verdure maladive.

– Ma foi, tant pis, dit Schaunard en lui-même, je vais me donner une bosse et faire un Balthasar intime.

Et, sans faire ni une ni deux, il commanda une soupe, une demi-choucroûte et deux demi-gibelottes: il avait remarqué qu'en fractionnant la portion on gagnait au moins un quart sur l'entier.

La commande de cette carte attira sur lui les regards d'une jeune personne, vêtue de blanc, coiffée de fleurs d'oranger et chaussée de souliers de bal, un voile en imitation d'imitation flottait sur des épaules qui auraient bien dû garder l'incognito. C'était une cantatrice du théâtre Montparnasse, dont les coulisses donnent pour ainsi dire dans la cuisine de la Mère Cadet. Elle était venue prendre son repas pendant un entr'acte de la Lucie, et achevait en ce moment, par une demi-tasse, un dîner composé exclusivement d'un artichaut à l'huile et au vinaigre.

– Deux gibelottes, mâtin! dit-elle tout bas à la fille qui servait le garçon, voilà un jeune homme qui se nourrit bien. Combien dois-je, Adèle?

– Quatre d'artichaut, quatre de demi-tasse et un sou de pain. Ça nous fait neuf sous.

– Voilà, dit la cantatrice, et elle sortit en fredonnant:

Cet amour que Dieu me donne!

– Tiens, elle donne le la, dit alors un personnage mystérieux assis à la même table que Schaunard, et à demi caché derrière un rempart de bouquins.

– Elle le donne? dit Schaunard; je crois plutôt qu'elle le garde, moi. Aussi on n'a pas idée de ça, ajouta-t-il en indiquant du doigt l'assiette où Lucia De Lamermoor avait consommé ses artichauts, faire mariner son fausset dans du vinaigre!

– C'est un acide violent, en effet, ajouta le personnage qui avait déjà parlé. La ville d'Orléans en produit qui jouit à juste titre d'une grande réputation.

Schaunard examina attentivement ce particulier, qui lui jetait ainsi des hameçons à la causerie. Le regard fixe de ses grands yeux bleus, qui semblaient toujours chercher quelque chose, donnait à sa physionomie le caractère de placidité béate qu'on remarque chez les séminaristes. Son visage avait le ton du vieil ivoire, sauf les joues, qui étaient tamponnées d'une couche de couleur brique pilée. Sa bouche paraissait avoir été dessinée par un élève de premiers principes, à qui on aurait poussé le coude. Les lèvres, retroussées un peu à la façon de la race nègre, laissaient voir des dents de chien de chasse, et son menton asseyait ses deux plis sur une cravate blanche, dont l'une des pointes menaçait les astres, tandis que l'autre s'en allait piquer en terre. D'un feutre chauve, aux bords prodigieusement larges, ses cheveux s'échappaient en cascades blondes. Il était vêtu d'un paletot noisette à pèlerine, dont l'étoffe, réduite à la trame, avait les rugosités d'une râpe. Des poches béantes de ce paletot s'échappaient des liasses de papiers et de brochures. Sans se préoccuper de l'examen dont il était l'objet, il savourait une choucroûte garnie en laissant échapper tout haut des signes fréquents de satisfaction. Tout en mangeant, il lisait un bouquin ouvert devant lui, et sur lequel il faisait de temps en temps des annotations avec un crayon qu'il portait à l'oreille.

– Eh bien! s'écria tout à coup Schaunard en frappant sur son verre avec son couteau, et ma gibelotte?

– Monsieur, répondit la fille, qui arriva avec une assiette à la main, il n'y en a plus; voici la dernière, et c'est monsieur qui l'a demandée, ajouta-t-elle en déposant le plat en face de l'homme aux bouquins.

– Sacrebleu! s'écria Schaunard.

Et il y avait tant de désappointement mélancolique dans ce: sacrebleu! Que l'homme aux bouquins en fut touché intérieurement. Il détourna le rempart de livres qui s'élevait entre lui et Schaunard; et, mettant l'assiette entre eux deux, il lui dit avec les plus douces cordes de sa voix:

– Monsieur, oserais-je vous prier de partager ce mets avec moi?

– Monsieur, répondit Schaunard, je ne veux pas vous priver.

– Vous me priverez donc du plaisir de vous être agréable?

– S'il en est ainsi, monsieur… et Schaunard avança son assiette.

– Permettez-moi de ne pas vous offrir la tête, dit l'étranger.

– Ah! Monsieur, s'écria Schaunard, je ne souffrirai pas.

Mais en ramenant son assiette vers lui il s'aperçut que l'étranger lui avait justement servi la portion qu'il disait vouloir garder pour lui.

– Eh bien! Qu'est-ce qu'il me chante, alors, avec sa politesse? Grogna Schaunard en lui-même.

– Si la tête est la plus noble partie de l'homme, dit l'étranger, c'est la partie la plus désagréable du lapin. Aussi avons-nous beaucoup de personnes qui ne peuvent pas la souffrir. Moi, c'est différent, je l'adore.

– Alors, dit Schaunard, je regrette vivement que vous vous soyez privé pour moi.

– Comment?… pardon, fit l'homme aux bouquins, c'est moi qui ai gardé la tête. J'ai même eu l'honneur de vous faire observer que…

– Permettez, dit Schaunard en lui mettant son assiette sous le nez. Qu'est-ce que c'est que ce morceau-là?

– Juste ciel! Que vois-je! ô dieux! Encore une tête! C'est un lapin bicéphale! s'écria l'étranger.

– Bicé… dit Schaunard.

– …phale. Ça vient du grec. Au fait, M. De Buffon, qui mettait des manchettes, cite des exemples de cette singularité. Eh bien, ma foi! Je ne suis pas fâché d'avoir mangé du phénomène.

Grâce à cet incident, la conversation était définitivement engagée. Schaunard, qui ne voulait pas rester en reste de politesse, demanda un litre de supplément. L'homme aux bouquins en fit venir un autre. Schaunard offrit de la salade, l'homme aux bouquins offrit du dessert. À huit heures du soir, il y avait six litres vides sur la table. En causant, la franchise, arrosée par les libations du petit bleu, les avait poussés l'un l'autre à se faire leur biographie, et ils se connaissaient déjà comme s'ils ne s'étaient jamais quittés. L'homme aux bouquins, après avoir écouté les confidences de Schaunard, lui avait appris qu'il s'appelait Gustave Colline; il exerçait la profession de philosophe, et vivait en donnant des leçons de mathématique, de scolastique, de botanique, et de plusieurs sciences en ique.

Le peu d'argent qu'il gagnait à courir ainsi le cachet, Colline le dépensait en achats de bouquins. Son paletot noisette était connu de tous les étalagistes du quai, depuis le pont de la concorde jusqu'au pont Saint-Michel. Ce qu'il faisait de tous ces livres, si nombreux que la vie d'un homme n'aurait pas suffi pour les lire, personne ne le savait, et il le savait moins que personne. Mais ce tic avait pris chez lui les proportions d'une passion; et lorsqu'il rentrait chez lui le soir sans y rapporter un nouveau bouquin, il refaisait pour son usage le mot de Titus, et disait: «J'ai perdu ma journée.» Ses manières câlines et son langage, qui offraient une mosaïque de tous les styles, les calembours terribles dont il émaillait sa conversation, avaient séduit Schaunard, qui demanda sur-le-champ à Colline la permission d'ajouter son nom à ceux qui composaient la fameuse liste dont nous avons parlé.

Ils sortirent de chez la Mère Cadet à neuf heures du soir, passablement gris tous les deux, et ayant la démarche de gens qui viennent de dialoguer avec les bouteilles.




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