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Роман "Теракт" франкоязычного алжирского писателя Ясмина Хадра - это актуальное чтение... К сожалению...
Yasmina Khadra. Attentat
I. Lisez la biographie d’ Yasmina Khadra :
Yasmina Khadra est le nom de plume de l'écrivain algérien Mohammed Moulessehoul, né en 1955 dans le Sahara algérien.
Son père, officier,l envoie son fils alors âgé de 9 ans à l'école des cadets afin de le former au grade d'officier. À 23 ans, il sort sous-lieutenant de l'Académie militairel, avant de servir comme officier dans l'armée algérienne pendant vingt-cinq ans. Il quitte l'armée algérienne en 2000 pour se consacrer à l'écriture.
À 18 ans, Mohammed Moulessehoul finit son premier recueil de nouvelles qui est publié onze ans après, en 1984. Il publie 3 recueils de nouvelles et 3 romans sous son propre nom de 1984 à 1989 et obtient plusieurs prix littéraires. Pour échapper au Comité de censure militaire il opte pour la clandestinité et publie son roman Le Dingue au bistouri , le premier dans la série des « Commissaire Llob ». Il écrit pendant onze ans sous différents pseudonymes et collabore à plusieurs journaux algériens et étrangers. En 1997 paraît en France, chez l'éditeur parisien Baleine, Morituri qui le révèle au grand public, sous le pseudonyme Yasmina Khadra.
Il opte définitivement pour ce pseudonyme, qui sont les deux prénoms de son épouse.
« Mon épouse m'a soutenu et m'a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie».
Il ne révèle son identité masculine qu'en 2001 avec la parution de son roman autobiographique L'Écrivain et son identité tout entière dans L'Imposture des mots en 2002. À cette époque ses romans ont déjà touché un grand nombre de lecteurs et de critiques.
Il acquiert sa renommée internationale avec les romans Morituri, adapté au cinéma en 2007, Double Blanc et L'Automne des chimères. le roman, La Part du mort.
Khadra illustre également « le dialogue de sourds qui oppose l'Orient et l'Occident » avec les trois romans : Les Hirondelles de Kaboul, qui raconte l'histoire de deux couples afghans sous le régime des Talibans ; L'Attentat, roman dans lequel un médecin arabe, Amine, intégré en Israël, recherche la vérité sur sa femme kamikaze ; Les Sirènes de Bagdad relate le désarroi d'un jeune bédouin irakien poussé à bout par l'accumulation de bavures commises par les troupes américaines.
Yasmina Khadra a touché plusieurs millions de lecteurs dans le monde. Adaptés au cinéma, au théâtre, en bande dessinée, en chorégraphie, ses romans sont traduits dans 42 langues et édités dans plusieurs pays du monde, et aussi en Russie.
En 2015, il publie La Dernière Nuit du Raïs, où le narrateur est l'ancien dictateur libyen Kadhafi.
En 2016, il publie Dieu n'habite pas La Havane. La qualité littéraire de ce roman est lourdement critiquée par l'écrivain et critique Éric Chevillard.
II. Après la lecture du résumé du roman Attentat, répondez aux questions :
1. Où se déroule l’action du roman ?
2. Quels sont les problèmes essentiels qui y sont soulevés ?
3. Qui sont les personnages du roman ?
4. Quelle est la philosophie du roman ?
Amine, chirurgien israélien d'origine palestinienne, a toujours refusé de prendre parti dans le conflit qui oppose son peuple d'origine à son peuple d'adoption et s'est consacré à son métier et à sa femme Sihem. Jusqu'au jour où un attentat se produit à Tel-Aviv. À l'hôpital, le docteur Amine opère à la chaîne les survivants de l'attentat. Dans la nuit qui suit le carnage, on le rappelle d'urgence pour examiner le corps déchiqueté de la kamikaze. Le sol se dérobe alors sous ses pieds : il s'agit de sa propre femme. Son ami Naveed, policier, lui annonce alors que Sihem a été tuée et qu'elle est soupçonnée d'être la kamikaze, de se faire exploser au milieu de dizaines de clients du restaurant.
Comment admettre l'impossible, comprendre l'inimaginable, découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une personne dont on ignorait l'essentiel ? Pour savoir, il faut entrer dans la haine, le sang et le combat désespéré du peuple palestinien...
Cette histoire est à la fois très triste dans les faits, percutante dans la philosophie de l'histoire, et le contexte décrit est malheureusement très compliquée dans la réalité.
Ici on voit le personnage d'Amine, fou amoureux de son épouse, qui cherche par tout les moyens à comprendre ce qui a pu amener Sihem à réaliser un acte aussi cruel en étant kamikaze dans un attentat.
Khadra décrit magnifiquement bien le désarroi d'Amine, l'écroulement de sa vie pleine de désillusions. Il doit malgré tout continuer à vivre avec ces sentiments de trahison et d'incompréhension qui l'habitent. On le suit dans sa quête de vérité.
C'est fort, c'est un mélange d'émotions et c'est plein de profondeur. C'est aussi très délicat puisque l'auteur évoque le conflit israélo-palestinien et les déviations de la religion.
Apprendre que votre épouse chérie est une kamikaze qui vient d'enlever la vie à vos rêves en même temps qu'à 19 lycéens en conduirait plus d'un dans la haine et la vengeance. Ici point. le docteur Jaafari, après une hébétude totale face à la réalité que d'abord, il nie, veut comprendre.
Israélien d'origine arabe, il va jusqu'au coeur du mouvement djihadiste pour savoir. Il s'interroge intensément sur les mobiles et le moment de bascule de sa femme sans trouver de raison qui puisse altérer sa vision de la vie : sa vocation se situe du côté de ce qui sauve et non de ce qui tue.
Engagé dans des actions pour l'émancipation de la femme musulmane, l'auteur est horrifié et aussi méditatif sur le devenir du conflit israélo-palestinien. Il n'adhère ni au statut de martyr revendiqué par les djihadistes, ni ne cautionne les exactions des soldats israéliens. Après avoir identifié le cadavre déchiqueté de sa femme, Amine demeure incrédule : il ne peut tout simplement pas croire qu'elle est coupable d'un tel geste, même si toutes les évidences sont là. Amine se nourrit de tout autres évidences : sa femme et lui formaient un couple heureux, uni et complice ; elle ne lui cachait rien ; loin d'être intégriste, elle n'était même pas pratiquante. Obligé de quitter temporairement son emploi et subissant la hargne de ses voisins, Amine mène une enquête.
Dans ce roman très dur, Khadra expose avec clarté dans un récit poignant la réalité vécue quotidiennement par les Juifs et les Palestiniens et livre un plaidoyer virulent contre la haine et la loi du talion qui enflamment les communautés vivant au Proche-Orient.
"Yasmina Khadra, spécialiste de romans sur fond de terrorisme (...), déploie son talent de conteur pour dresser le tableur saisissant d'un pays rongé par la terreur." Un livre assez court mais très prenant, touchant et triste pour le réalisme de l'histoire qui est malheureusement toujours d'actualité.
III. Lisez le début du roman d’ Yasmina Khadra L’attentat et répondez aux questions :
1. Où et quand se déroule l’action de ce fragment ?
2. Quels sont les problèmes qui y sont soulevés ?
3. Qui est le narrateur ?
4. Qu’est-ce qui est décrit dans le préface ?
5. Qu’est-ce qui a précédé la déflagration ?
6. Pourquoi Amine se voit parmi les victimes ?
7. Comment il se voit ?
8. Quand est vu ce rêve ? avant ou après l’attentat ?
9. Qui sont les personnages du premier chapitre ?
10. Comment était la vie d’Amine avant l’attentat ?
11. Comment étaient ses relations avec les collègues ?
12. Comment étaient ses relations avec la femme ?
13. Donnez la caractéristique d’un des personnages du fragment.
14. Où est la cause de cet événement terrible ?
15. Quels détails ou faits ont une grande valeur dans la narration ?
Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. Un sifflement peut-être, comme le
crissement d’un tissu que l’on déchire, mais je n’en suis pas sûr. Mon attention était détournée parcette sorte de divinité autour de laquelle essaimait une meute d’ouailles alors que sa garde
prétorienne tentait de lui frayer un passage jusqu’à son véhicule.
« Laissez passer, s’il vous plaît. S’il vous plaît, écartez-vous. » Les fidèles se donnaient du coude pour
voir le cheikh de plus près, effleurer un pan de son kamis. Le vieillard révéré se retournait de temps à autre, saluant une connaissance ou remerciant un disciple. Son visage ascétique brillait d’un regard tranchant comme la lame d’un cimeterre. J’ai essayé de me dégager des corps en transe qui me broyaient, sans succès. Le cheikh s’est engouffré dans son véhicule, a agité une main derrière la vitre blindée tandis que ses deux gardes du corps prenaient place à sescôtés… Puis, plus rien. Quelque chose a zébré le ciel et fulguré au milieu de la chaussée, semblable à un éclair ; son onde de choc m’a atteint de plein fouet, disloquant l’attroupement qui me retenait captif de sa frénésie. En une fraction de seconde, le ciel s’est effondré, et la rue, un moment engrossée de ferveur, s’est retrouvée sens dessus dessous. Le corps d’un homme, ou bien d’un gamin, a traversé mon vertige tel un flash obscur. Qu’est-ce que c’est ?…
Une crue de poussière et de feu vient de me happer, me catapultantà travers mille projectiles. J’ai le vague sentiment de m’effilocher, de me dissoudre dans le souffle de l’explosion… À quelques mètres – ou bien à des années-lumière – le véhicule du cheikh flambe. Des tentacules voraces l’engloutissent, répandant dans l’air une épouvantable odeur de crémation.
Leur bourdonnement doit être terrifiant ; je ne le perçois pas. Une surdité foudroyante m’a ravi aux
bruits de la ville. Je n’entends rien, ne ressens rien ; je ne fais que planer, planer. Je mets une éternité à planer avant de retomber par terre, groggy, démaillé, mais curieusement lucide, les yeux plus grands que l’horreur qui vient de s’abattre sur la rue. À l’instant où j’atteins le sol, tout se fige ; les torches par-dessus la voiture disloquée, les projectiles, la fumée, le chaos, les odeurs, le temps…
Seule une voix céleste, surplombant le silence insondable de la mort, chante nous retournerons, un jour, dans notre quartier. Ce n’est pas exactement une voix ; ça ressemble à un friselis, à un filigrane… Ma tête rebondit quelque part… Maman, crie un enfant. Son appel est faible, mais net, pur. Il vient de très loin, d’un ailleurs rasséréné… Les flammes dévorant le véhicule refusent de bouger, les projectiles de tomber… Ma main se cherche au milieu du cailloutis ; je crois que je suis touché. J’essaie de remuer mes jambes, de relever le cou ; aucun muscle n’obéit… Maman, crie l’enfant… Je suis là, Amine… Et elle est là, maman, émergeant d’un rideau de fumée. Elle avance au milieu des éboulis suspendus, des gestes pétrifiés, des bouches ouvertes sur l’abîme. Un moment, avec son voile lactescent et son regard martyrisé, je la prends pour la Vierge. Ma mère a toujours été
ainsi, rayonnante et triste à la fois, tel un cierge. Lorsqu’elle posait sa main sur mon front brûlant, elle en résorbait toute la fièvre et tous les soucis… Et elle est là ; sa magie n’a pas pris une ride. Un frisson me traverse des pieds à la tête, libérant l’univers, enclenchant les délires.
Les flammes reprennent leur branle macabre, les éclats leurs trajectoires, la panique ses débordements… Un homme haillonneux, la figure et les bras noircis, tente de s’approcher de la voiture en feu. Il est gravement atteint pourtant, mû par on ne sait quel entêtement, il cherche coûte que coûte à porter secours au cheikh. Chaque fois qu’il pose la main sur la portière, une giclée de flammes le repousse. À l’intérieur du véhicule, les corps piégés brûlent. Deux spectres ensanglantés progressent de l’autre côté, essaient de forcer la portière arrière. Je les vois hurler des ordres ou de douleur, mais ne les entends pas.
Près de moi, un vieillard défiguré me fixe d’un air hébété ; il ne semble pas se rendre compte que ses tripes sont à l’air, que son sang cascade vers la fondrière. Un blessé rampe sur les gravats, une énorme tache fumante sur le dos. Il passe juste à côté de moi, gémissant et affolé, et va rendre l’âme un peu plus loin, les yeux grands ouverts, comme s’il n’arrivait pas à admettre que ça puisse lui arriver, à lui. Les deux spectres finissent par casser le pare-brise, se jettent à l’intérieur de la cabine. D’autres survivants arrivent à la rescousse. À mains nues, ils décortiquent le véhicule en feu, brisent les vitres, s’acharnent sur les portières et parviennent à extraire le corps du cheikh. Une dizaine de bras le transportent, l’éloignent du brasier avant de l’étaler sur le trottoir tandis qu’une nuée de mains s’escriment à éteindre ses vêtements. Une foultitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Mon pantalon a presque disparu ; seuls quelques pans calcinés continuent de me draper par endroits. Ma jambe repose contre mon flanc, grotesque et horrible à la fois ; un mince cordon de chair la retient encore à ma cuisse. D’un seul coup, toutes mes forces me désertent. J’ai le sentiment que mes fibres se dissocient les unes des autres, se décomposent déjà… Les ululements d’une ambulance m’atteignent enfin ; petit à petit, les bruits de la rue reprennent leur cours, déferlent
sur moi, m’abasourdissent.
Quelqu’un se penche sur mon corps, l’ausculte sommairement et s’éloigne. Je le vois s’accroupir devant un amas de chair carbonisée, lui tâter le pouls puis faire signe à des brancardiers. Un autre homme vient prendre mon poignet avant de le laisser tomber… « Celui-là est fichu. On ne peut rien pour lui… »
J’ai envie de le retenir, de l’obliger à revoir sa copie ; mon bras semutine, me renie. Maman, reprend l’enfant… Je cherche ma mère dans le chaos… Ne vois que des vergers qui s’étendent à perte de vue… les vergers de grand-père… du patriarche… un pays d’orangers où c’était tous les jours l’été… et un garçon qui rêve au haut d’une crête.
Le ciel est d’un bleu limpide. Les orangers n’en finissent pas de se donner la main. L’enfant a douze ans et un cœur en porcelaine. À cet âge de tous les coups de foudre, simplement parce que sa confiance est aussi grande que ses joies, il voudrait croquer la lune comme un fruit, persuadé qu’il n’a qu’à tendre la main pour cueillir le bonheur du monde entier… Et là, sous mes yeux, en dépit du drame qui vient d’enlaidir à jamais le souvenir de cette journée, en dépit des corps agonisant sur la chaussée et des flammes finissant d’ensevelir le véhicule du cheikh, le garçon bondit et, les bras déployés telles des ailes d’épervier, s’élance à travers champs où chaque arbre est une féerie… Des larmes me ravinent les joues… « Celui qui t’a dit qu’un homme ne doit pas pleurer ignore ce qu’homme veut dire », m’avoua mon père en me surprenant effondré dans la chambre mortuaire du patriarche. « Il n’y a pas de honte à pleurer, mon grand. Les larmes sont ce que nous avons de plus noble. » Comme je refusais de lâcher la main de grand-père, il s’était accroupi devant moi et m’avait pris dans ses bras. « Ça ne sert à rien de rester ici. Les morts sont morts et finis, quelque part ils ont purgé leurs peines. Quant aux vivants, ce ne sont que des fantômes en avance sur leur heure… » Deux brancardiers me soulèvent et m’entassent sur une civière. Une ambulance arrive en marche arrière, les portières grandes ouvertes. Des brasm’attirent à l’intérieur de la cabine, me jettent presque au milieu d’autres cadavres. Dans un dernier soubresaut, je m’entends sangloter… « Dieu, si c’est un affreux cauchemar, faites que je me réveille, et tout de suite… »
1
Après l’opération, Ezra Benhaïm, notre directeur, vient me voir dans mon bureau. C’est un monsieur alerte et vif malgré la soixantaine révolue et son embonpoint naissant. À l’hôpital, on le surnomme le maréchal-des-logis à cause de son caporalisme excessif aggravé d’un humour toujours en retard d’une pertinence. Mais dans les coups durs, il est le premier à retrousser les manches et le dernier à sortir de l’auberge.
Avant de me naturaliser israélien, alors que, jeune chirurgien, je remuais ciel et terre pour être titularisé, il était là. Bien qu’encore modeste chef de service, il usait du peu d’influence que lui conférait son poste pour tenir à distance mes détracteurs. À l’époque, il était difficile, pour un fils de Bédouin, de se joindre à la confrérie de l’élite universitaire sans provoquer un réflexe nauséeux. Mes camarades de promotion étaient tous de petits juifs fortunés, la gourmette en or et la décapotable sur le parking. Ils me prenaient de haut et subissaient chacune de mes prouesses comme une atteinte à leur standing. Aussi, lorsque l’un d’eux me poussait à bout, Ezra ne cherchait même pas à savoir qui avait commencé ; il se mettait systématiquement de mon côté.
Il pousse la porte sans frapper, me regarde de guingois, un bout de sourire au coin des lèvres. C’est sa façon d’afficher sa satisfaction. Puis, comme je fais pivoter mon fauteuil pour me mettre face à lui, il enlève ses lunettes, les essuie sur le devant de sa blouse et dit :
— Il paraît que tu es allé dans les limbes le ramener, ton patient.
— N’exagérons rien.
Il remet ses lunettes sur son nezaux narines ingrates, dodeline de la tête ensuite, après une brève méditation, son regard retrouve son austérité.
— Tu viens au club, ce soir ?
- Impossible, ma femme rentre aujourd’hui.
— Et ma revanche ?
— Laquelle ? Tu n’as pas gagné une seule partie contre moi.
— Tu n’es pas réglo, Amine. Tu profites toujours de mes mauvaises passes pour me marquer des points. Aujourd’hui que je me sens en forme, tu te débines.
Je me renverse contre le dossier de mon siège pour mieux le dévisager.
— Tu veux que je te dise, mon pauvre Ezra ? Tu n’as plus ton punch d’autrefois et je m’en voudrais d’en abuser.
— Ne m’enterre pas trop vite. Je finirai bien par te clouer le bec une fois pour toutes.
— Tu n’as pas besoin de raquette pour ça. Une simple mise à pied ferait l’affaire.
Il promet d’y réfléchir, porte son doigt à sa tempe dans un salut désinvolte et retourne apostropher les infirmières dans les couloirs.
Resté seul, j’essaie de me rappeler où j’en étais avant l’intrusion d’Ezra et me souviens que j’allais appeler ma femme. Je prends le combiné, compose le numéro de chez moi et raccroche au bout de la septième sonnerie. Ma montre indique 13 h 12. Si Sihem avait pris l’autocar de 9 heures, elle serait arrivée depuis un bon bout de temps déjà.
— Ne te prends pas trop la tête ! me surprend le docteur Kim Yehuda en envahissant mon cagibi.
Elle ajoute derechef :
— J’ai frappé avant d’entrer. C’est toi qui étais dans les vapes…
— Excuse-moi, je ne t’ai pas entendue arriver.
Elle balaie mes excuses d’une main altière, surveille le remuement de mes sourcils et s’enquiert :
- Tu téléphonais chez toi ?
— On ne peut rien te cacher.
— Et, bien sûr, Sihem n’est pas encore rentrée ?
Sa perspicacité m’agace, mais j’ai appris à faire avec. Je connais Kim depuis l’université. Nous n’étions pas de la même promotion – j’avais trois longueurs d’avance sur elle – mais nous avions sympathisé dès nos premières rencontres. Elle était belle et spontanée et ne s’attardait pas là où
les autres étudiantes retournaient sept fois la langue dans la bouche avant de demander du feu à un Arabe, même brillant et joli garçon. Kim avait le rire facile et le cœur sur la main. Nos flirts étaient troublants de naïveté. J’ai énormément souffert lorsqu’un jeune dieu russe, fraîchement débarqué de son komsomol, était venu me la ravir. Beau joueur, je n’avais rien contesté. Plus tard, j’ai épousé Sihem et le Russe est rentré chez lui sans préavis, au lendemain de la dislocation de l’Empire soviétique ; nous sommes restés d’excellents amis, Kim et moi, et notre étroite collaboration a tissé autour de nous une formidable complicité.
— C’est le retour des vacances, aujourd’hui, me signale-t-elle. Les routes sont saturées. Tu as essayé de la joindre chez sa grand-mère ?
— Il n’y a pas de téléphone à la ferme.
— Appelle-la sur son mobile.
— Elle l’a encore oublié à la maison.
Elle écarte les bras en signe de fatalité :
— C’est pas de chance.
— Pour qui ?
Elle soulève son magnifique sourcil, et, du doigt, me met en garde.
— Le drame de certaines bonnes intentions est qu’elles n’ont ni le courage de leurs engagements ni de suite dans les idées.
— C’est l’heure des braves, dis-je en me levant. L’opération a été éprouvante et nous avons besoin de reprendre des forces…
La saisissant par le coude, je la pousse dans le couloir.
— Passe devant, ma belle. Je veux voir toutes les merveilles que tu traînes derrière toi.
— Tu oserais me répéter ça en présence de Sihem ?
— Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Le rire de Kim fuse dans le corridor comme l’éclat d’une guirlande au milieu d’un mouroir.
Ilan Ros nous rejoint à la cantine au moment où nous terminons de déjeuner. Son plateau surchargé, il s’installe à ma droite de manière à avoir Kim en face de lui. Le tablier ouvert sur son ventre pantagruélique et les bajoues écarlates, il commence d’abord par ingurgiter trois tranches de viande froide avant de s’essuyer la bouche dans une serviette en papier.
— Tu cherches toujours une résidence secondaire ? me demande-t-il dans un clapotis vorace.
— Ça dépend où.
— Je crois que je t’ai déniché quelque chose. Pas loin d’Ashqelon.
Une jolie petite villa avec juste ce qu’il faut pour se déconnecter sur toute la ligne.
Ma femme et moi cherchons une petite maison au bord de la mer depuis plus d’un an. Sihem adore la
mer. Un week-end sur deux, lorsque mes congés le permettent, nous sautons dans notre voiture et nous nous rendons sur la plage. Après avoir longuement marché sur le sable, nous surplombons une dune et nous contemplons l’horizon jusque tard dans la nuit. Le coucher de soleil a toujours exercé sur Sihem une fascination que je n’ai jamais réussi à cerner.
— Tu penses qu’elle est à portée de ma bourse ? demandé-je.
Ilan Ros émet un rire bref qui fait trembler son cou cramoisi comme de la gélatine.
— Depuis le temps que tu ne portes plus la main à ta poche, Amine, je pense que tu as largement de quoi t’offrir la moitié de tes rêves…
Soudain, une formidable explosion fait vibrer les murs et tintinnabuler les vitres de la cantine. Tout le monde se regarde, perplexe, puis ceux qui sont près des baies vitrées se lèvent et se retournent vers l’extérieur. Kim et moi fonçons sur la fenêtre la plus proche. Dehors, les gens qui vaquaient à leurs occupations dans la cour de l’hôpital se tiennent immobiles, la tête tournée vers le nord. La façade du bloc d’en face nous empêche de voir plus loin.
— C’est sûrement un attentat, dit quelqu’un.
Kim et moi nous ruons vers le couloir. Déjà, une escouade d’infirmières remonte du sous-sol et file au pas de course en direction du hall. À en juger par l’importance de l’onde de choc, le lieu de la
déflagration ne doit pas être loin. Un vigile actionne son émetteur-récepteur pour s’enquérir de la situation. Son interlocuteur lui déclare qu’il n’est pas plus avancé.
Nous prenons d’assaut l’ascenseur. Une fois au dernier étage, nous nous dépêchons vers la terrasse surplombant l’aile sud du bâtiment. Quelques curieux sont déjà là, la main en visière. Ils regardent du côté d’un nuage de fumée en train de s’élever à une dizaine de pâtés de maisons de l’hôpital.
— Ça vient du côté de Haqirya, rapporte un vigile dans son poste radio. Une bombe ou bien un kamikaze. Peut-être une voiture piégée. Je n’ai pas d’informations. Tout ce que je vois, c’est la fumée s’échappant de l’endroit ciblé…
— Il faut descendre, me dit Kim.
— Tu as raison. Il faut nous préparer à accueillir les premières évacuations.
Dix minutes après, des bribes d’informations font état d’un véritable carnage. Certaines parlent de bus agressé, d’autres d’un restaurant soufflé. Le standard menace de sauter. C’est l’alerte rouge.
Ezra Benhaïm décrète le déploiement de la cellule de crise. Les infirmières et les chirurgiens rejoignent les urgences où des chariots et des civières sont disposés dans un carrousel frénétique, mais ordonné. Ce n’est pas la première fois qu’un attentat secoue Tel-Aviv, et les secours sont menés au fur et à mesure avec une efficacité grandissante. Mais un attentat reste un attentat. À l’usure, on peut le gérer techniquement, pas humainement. L’émoi et l’effroi ne font pas bon ménage avec le sang-froid. Lorsque l’horreur frappe, c’est toujours le cœur qu’elle vise en premier.
Je rejoins les urgences à mon tour. Ezra est sur place, la figure blême, le mobile collé à l’oreille. De la main, il essaie de diriger les préparatifs opérationnels.
— Un kamikaze s’est fait exploser dans un restaurant. Il y a plusieurs morts et beaucoup de blessés, annonce-t-il. Faites évacuer les salles 3 et 4. Et préparez-vous à recevoir les premières victimes. Les ambulances sont en route.
Kim, qui était allée dans son bureau appeler de son côté, me rattrape dans la salle 5. C’est là que seront orientés les grands blessés. Parfois, le bloc opératoire ne suffisant pas, on procède à des amputations sur place. Avec quatre chirurgiens, nous vérifions les équipements d’intervention. Des infirmières s’affairent autour des billards, lestes et précises.
— Il y a au moins onze morts, m’apprend Kim en procédant à la mise en marche des appareils.
Dehors, les sirènes ululent. Les premières ambulances envahissent la cour de l’hôpital. Je laisse Kim
s’occuper des appareils et rejoins Ezra dans le hall. Les cris des blessés retentissent dans la salle.
Une femme presque nue, aussi énorme que sa frayeur, se contorsionne sur une civière. Les brancardiers qui l’assistent ont du mal à la tenir tranquille. Elle passe devant moi, les cheveux hérissés et les yeux exorbités. Tout de suite après elle, arrive le corps ensanglanté d’un jeune garçon. Il a la figure et les bras noircis comme s’il sortait d’une mine de charbon. Je m’empare de son chariot et le conduis sur le côté pour évacuer le passage. Une infirmière vient m’assister.
— Sa main est arrachée, s’écrie-t-elle.
— Ce n’est pas le moment de flancher, lui recommandé-je. Mettez-lui un garrot et conduisez-le au bloc sur le champ. Il n’y a pas une minute à perdre.
— Bien, docteur.
— Vous êtes sûre que ça peut aller ?
— Ne vous occupez pas de moi, docteur. Je me débrouillerai.
En l’espace d’un quart d’heure, le hall des urgences se transforme en champ de bataille. Pas moins d’une centaine de blessés s’y entassent, la majorité étalée à ras le sol. Tous les chariots sont encombrés de corps disloqués, horriblement criblés d’éclats, certains brûlés en plusieurs endroits. Les pleurs et les hurlements se déversent à travers tout l’hôpital. De temps en temps un cri domine le vacarme, soulignant le décès d’une victime. L’une d’elles me claque entre les mains, sans me laisser le temps de l’examiner. Kim me signale que le bloc est saturé et qu’il va falloir orienter les cas graves sur la salle 5. Un blessé exige que l’on s’occupe de lui immédiatement. Il a le dos écorché d’un bout à l’autre et une partie de l’omoplate à nu. Ne voyant personne venir à son secours, il saisit une infirmière par les cheveux. Il faut trois solides gaillards pour lui faire lâcher prise. Un peu plus loin, coincé entre deux chariots, un blessé hurle en se démenant comme un beau diable. Il finit par tomber de son brancard à force de s’agiter. Le corps tailladé, il se met à assener des coups de poing dans le vide. L’infirmière qui s’en occupe paraît dépassée. Ses yeux s’illuminent lorsqu’elle m’aperçoit.
— Vite, vite, docteur Amine…
D’un seul coup, le blessé se raidit ; ses râles, ses convulsions ; ses ruades, tout son corps s’immobilise et ses bras s’affaissent sur sa poitrine, pareils à ceux d’un pantin auquel on vient de trancher les ficelles. En une fraction de seconde, ses traits congestionnés se défont de leur douleur et cèdent la place à une expression démente, faite de rage froide et de dégoût. Au moment où je me penche sur lui, il me menace des yeux et retrousse les lèvres sur une grimace outrée.
— Je ne veux pas qu’un Arabe me touche, grogne-t-il en me repoussant d’une main hargneuse. Plutôt crever.
Je le saisis par le poignet et lui rabats fermement le bras contre le flanc.
— Tenez-le bien, dis-je à l’infirmière. Je vais l’examiner.
— Ne me touchez pas, s’insurge le blessé. Je vous interdis de porter vos mains sur moi. Il me crache dessus. Essoufflé, sa salive lui retombe sur le menton, frissonnante et élastique tandis que des larmes furieuses se mettent à lui inonder les paupières. Je lui écarte la veste. Son ventre n’est plus qu’une bouillie spongieuse que chaque effort compresse. Il a perdu beaucoup de sang, et ses cris ne font qu’accentuer l’hémorragie.
— Il faut l’opérer tout de suite.
Je fais signe à un infirmier pour qu’il m’aide à remettre le blessé sur la civière puis, écartant les chariots
qui nous barrent le chemin, je fonce sur le bloc. Le blessé me fixe haineusement de ses yeux sur le
point de se révulser. Il tente de protester, mais ses contorsions l’ont épuisé. Terrassé, il détourne la tête de manière à ne plus m’avoir en face de lui et s’abandonne à l’engourdissement en train de le gagner.
Yasmina Khadra est le nom de plume de l'écrivain algérien Mohammed Moulessehoul, né en 1955 dans le Sahara algérien.
Son père, officier,l envoie son fils alors âgé de 9 ans à l'école des cadets afin de le former au grade d'officier. À 23 ans, il sort sous-lieutenant de l'Académie militairel, avant de servir comme officier dans l'armée algérienne pendant vingt-cinq ans. Il quitte l'armée algérienne en 2000 pour se consacrer à l'écriture.
À 18 ans, Mohammed Moulessehoul finit son premier recueil de nouvelles qui est publié onze ans après, en 1984. Il publie 3 recueils de nouvelles et 3 romans sous son propre nom de 1984 à 1989 et obtient plusieurs prix littéraires. Pour échapper au Comité de censure militaire il opte pour la clandestinité et publie son roman Le Dingue au bistouri , le premier dans la série des « Commissaire Llob ». Il écrit pendant onze ans sous différents pseudonymes et collabore à plusieurs journaux algériens et étrangers. En 1997 paraît en France, chez l'éditeur parisien Baleine, Morituri qui le révèle au grand public, sous le pseudonyme Yasmina Khadra.
Il opte définitivement pour ce pseudonyme, qui sont les deux prénoms de son épouse.
« Mon épouse m'a soutenu et m'a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie».
Il ne révèle son identité masculine qu'en 2001 avec la parution de son roman autobiographique L'Écrivain et son identité tout entière dans L'Imposture des mots en 2002. À cette époque ses romans ont déjà touché un grand nombre de lecteurs et de critiques.
Il acquiert sa renommée internationale avec les romans Morituri, adapté au cinéma en 2007, Double Blanc et L'Automne des chimères. le roman, La Part du mort.
Khadra illustre également « le dialogue de sourds qui oppose l'Orient et l'Occident » avec les trois romans : Les Hirondelles de Kaboul, qui raconte l'histoire de deux couples afghans sous le régime des Talibans ; L'Attentat, roman dans lequel un médecin arabe, Amine, intégré en Israël, recherche la vérité sur sa femme kamikaze ; Les Sirènes de Bagdad relate le désarroi d'un jeune bédouin irakien poussé à bout par l'accumulation de bavures commises par les troupes américaines.
Yasmina Khadra a touché plusieurs millions de lecteurs dans le monde. Adaptés au cinéma, au théâtre, en bande dessinée, en chorégraphie, ses romans sont traduits dans 42 langues et édités dans plusieurs pays du monde, et aussi en Russie.
En 2015, il publie La Dernière Nuit du Raïs, où le narrateur est l'ancien dictateur libyen Kadhafi.
En 2016, il publie Dieu n'habite pas La Havane. La qualité littéraire de ce roman est lourdement critiquée par l'écrivain et critique Éric Chevillard.
IV. Après la lecture du résumé du roman Attentat, répondez aux questions :
1. Où se déroule l’action du roman ?
2. Quels sont les problèmes essentiels qui y sont soulevés ?
3. Qui sont les personnages du roman ?
4. Quelle est la philosophie du roman ?
Amine, chirurgien israélien d'origine palestinienne, a toujours refusé de prendre parti dans le conflit qui oppose son peuple d'origine à son peuple d'adoption et s'est consacré à son métier et à sa femme Sihem. Jusqu'au jour où un attentat se produit à Tel-Aviv. À l'hôpital, le docteur Amine opère à la chaîne les survivants de l'attentat. Dans la nuit qui suit le carnage, on le rappelle d'urgence pour examiner le corps déchiqueté de la kamikaze. Le sol se dérobe alors sous ses pieds : il s'agit de sa propre femme. Son ami Naveed, policier, lui annonce alors que Sihem a été tuée et qu'elle est soupçonnée d'être la kamikaze, de se faire exploser au milieu de dizaines de clients du restaurant.
Comment admettre l'impossible, comprendre l'inimaginable, découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une personne dont on ignorait l'essentiel ? Pour savoir, il faut entrer dans la haine, le sang et le combat désespéré du peuple palestinien...
Cette histoire est à la fois très triste dans les faits, percutante dans la philosophie de l'histoire, et le contexte décrit est malheureusement très compliquée dans la réalité.
Ici on voit le personnage d'Amine, fou amoureux de son épouse, qui cherche par tout les moyens à comprendre ce qui a pu amener Sihem à réaliser un acte aussi cruel en étant kamikaze dans un attentat.
Khadra décrit magnifiquement bien le désarroi d'Amine, l'écroulement de sa vie pleine de désillusions. Il doit malgré tout continuer à vivre avec ces sentiments de trahison et d'incompréhension qui l'habitent. On le suit dans sa quête de vérité.
C'est fort, c'est un mélange d'émotions et c'est plein de profondeur. C'est aussi très délicat puisque l'auteur évoque le conflit israélo-palestinien et les déviations de la religion.
Apprendre que votre épouse chérie est une kamikaze qui vient d'enlever la vie à vos rêves en même temps qu'à 19 lycéens en conduirait plus d'un dans la haine et la vengeance. Ici point. le docteur Jaafari, après une hébétude totale face à la réalité que d'abord, il nie, veut comprendre.
Israélien d'origine arabe, il va jusqu'au coeur du mouvement djihadiste pour savoir. Il s'interroge intensément sur les mobiles et le moment de bascule de sa femme sans trouver de raison qui puisse altérer sa vision de la vie : sa vocation se situe du côté de ce qui sauve et non de ce qui tue.
Engagé dans des actions pour l'émancipation de la femme musulmane, l'auteur est horrifié et aussi méditatif sur le devenir du conflit israélo-palestinien. Il n'adhère ni au statut de martyr revendiqué par les djihadistes, ni ne cautionne les exactions des soldats israéliens. Après avoir identifié le cadavre déchiqueté de sa femme, Amine demeure incrédule : il ne peut tout simplement pas croire qu'elle est coupable d'un tel geste, même si toutes les évidences sont là. Amine se nourrit de tout autres évidences : sa femme et lui formaient un couple heureux, uni et complice ; elle ne lui cachait rien ; loin d'être intégriste, elle n'était même pas pratiquante. Obligé de quitter temporairement son emploi et subissant la hargne de ses voisins, Amine mène une enquête.
Dans ce roman très dur, Khadra expose avec clarté dans un récit poignant la réalité vécue quotidiennement par les Juifs et les Palestiniens et livre un plaidoyer virulent contre la haine et la loi du talion qui enflamment les communautés vivant au Proche-Orient.
"Yasmina Khadra, spécialiste de romans sur fond de terrorisme (...), déploie son talent de conteur pour dresser le tableur saisissant d'un pays rongé par la terreur." Un livre assez court mais très prenant, touchant et triste pour le réalisme de l'histoire qui est malheureusement toujours d'actualité.
III. Lisez le début du roman d’ Yasmina Khadra L’attentat et répondez aux questions :
1. Où et quand se déroule l’action de ce fragment ?
2. Quels sont les problèmes qui y sont soulevés ?
3. Qui est le narrateur ?
4. Qu’est-ce qui est décrit dans le préface ?
5. Qu’est-ce qui a précédé la déflagration ?
6. Pourquoi Amine se voit parmi les victimes ?
7. Comment il se voit ?
8. Quand est vu ce rêve ? avant ou après l’attentat ?
9. Qui sont les personnages du premier chapitre ?
10. Comment était la vie d’Amine avant l’attentat ?
11. Comment étaient ses relations avec les collègues ?
12. Comment étaient ses relations avec la femme ?
13. Donnez la caractéristique d’un des personnages du fragment.
14. Où est la cause de cet événement terrible ?
15. Quels détails ou faits ont une grande valeur dans la narration ?
Je ne me souviens pas d’avoir entendu de déflagration. Un sifflement peut-être, comme le
crissement d’un tissu que l’on déchire, mais je n’en suis pas sûr. Mon attention était détournée parcette sorte de divinité autour de laquelle essaimait une meute d’ouailles alors que sa garde
prétorienne tentait de lui frayer un passage jusqu’à son véhicule.
« Laissez passer, s’il vous plaît. S’il vous plaît, écartez-vous. » Les fidèles se donnaient du coude pour
voir le cheikh de plus près, effleurer un pan de son kamis. Le vieillard révéré se retournait de temps à autre, saluant une connaissance ou remerciant un disciple. Son visage ascétique brillait d’un regard tranchant comme la lame d’un cimeterre. J’ai essayé de me dégager des corps en transe qui me broyaient, sans succès. Le cheikh s’est engouffré dans son véhicule, a agité une main derrière la vitre blindée tandis que ses deux gardes du corps prenaient place à sescôtés… Puis, plus rien. Quelque chose a zébré le ciel et fulguré au milieu de la chaussée, semblable à un éclair ; son onde de choc m’a atteint de plein fouet, disloquant l’attroupement qui me retenait captif de sa frénésie. En une fraction de seconde, le ciel s’est effondré, et la rue, un moment engrossée de ferveur, s’est retrouvée sens dessus dessous. Le corps d’un homme, ou bien d’un gamin, a traversé mon vertige tel un flash obscur. Qu’est-ce que c’est ?…
Une crue de poussière et de feu vient de me happer, me catapultantà travers mille projectiles. J’ai le vague sentiment de m’effilocher, de me dissoudre dans le souffle de l’explosion… À quelques mètres – ou bien à des années-lumière – le véhicule du cheikh flambe. Des tentacules voraces l’engloutissent, répandant dans l’air une épouvantable odeur de crémation.
Leur bourdonnement doit être terrifiant ; je ne le perçois pas. Une surdité foudroyante m’a ravi aux
bruits de la ville. Je n’entends rien, ne ressens rien ; je ne fais que planer, planer. Je mets une éternité à planer avant de retomber par terre, groggy, démaillé, mais curieusement lucide, les yeux plus grands que l’horreur qui vient de s’abattre sur la rue. À l’instant où j’atteins le sol, tout se fige ; les torches par-dessus la voiture disloquée, les projectiles, la fumée, le chaos, les odeurs, le temps…
Seule une voix céleste, surplombant le silence insondable de la mort, chante nous retournerons, un jour, dans notre quartier. Ce n’est pas exactement une voix ; ça ressemble à un friselis, à un filigrane… Ma tête rebondit quelque part… Maman, crie un enfant. Son appel est faible, mais net, pur. Il vient de très loin, d’un ailleurs rasséréné… Les flammes dévorant le véhicule refusent de bouger, les projectiles de tomber… Ma main se cherche au milieu du cailloutis ; je crois que je suis touché. J’essaie de remuer mes jambes, de relever le cou ; aucun muscle n’obéit… Maman, crie l’enfant… Je suis là, Amine… Et elle est là, maman, émergeant d’un rideau de fumée. Elle avance au milieu des éboulis suspendus, des gestes pétrifiés, des bouches ouvertes sur l’abîme. Un moment, avec son voile lactescent et son regard martyrisé, je la prends pour la Vierge. Ma mère a toujours été
ainsi, rayonnante et triste à la fois, tel un cierge. Lorsqu’elle posait sa main sur mon front brûlant, elle en résorbait toute la fièvre et tous les soucis… Et elle est là ; sa magie n’a pas pris une ride. Un frisson me traverse des pieds à la tête, libérant l’univers, enclenchant les délires.
Les flammes reprennent leur branle macabre, les éclats leurs trajectoires, la panique ses débordements… Un homme haillonneux, la figure et les bras noircis, tente de s’approcher de la voiture en feu. Il est gravement atteint pourtant, mû par on ne sait quel entêtement, il cherche coûte que coûte à porter secours au cheikh. Chaque fois qu’il pose la main sur la portière, une giclée de flammes le repousse. À l’intérieur du véhicule, les corps piégés brûlent. Deux spectres ensanglantés progressent de l’autre côté, essaient de forcer la portière arrière. Je les vois hurler des ordres ou de douleur, mais ne les entends pas.
Près de moi, un vieillard défiguré me fixe d’un air hébété ; il ne semble pas se rendre compte que ses tripes sont à l’air, que son sang cascade vers la fondrière. Un blessé rampe sur les gravats, une énorme tache fumante sur le dos. Il passe juste à côté de moi, gémissant et affolé, et va rendre l’âme un peu plus loin, les yeux grands ouverts, comme s’il n’arrivait pas à admettre que ça puisse lui arriver, à lui. Les deux spectres finissent par casser le pare-brise, se jettent à l’intérieur de la cabine. D’autres survivants arrivent à la rescousse. À mains nues, ils décortiquent le véhicule en feu, brisent les vitres, s’acharnent sur les portières et parviennent à extraire le corps du cheikh. Une dizaine de bras le transportent, l’éloignent du brasier avant de l’étaler sur le trottoir tandis qu’une nuée de mains s’escriment à éteindre ses vêtements. Une foultitude de picotements se déclarent dans ma hanche. Mon pantalon a presque disparu ; seuls quelques pans calcinés continuent de me draper par endroits. Ma jambe repose contre mon flanc, grotesque et horrible à la fois ; un mince cordon de chair la retient encore à ma cuisse. D’un seul coup, toutes mes forces me désertent. J’ai le sentiment que mes fibres se dissocient les unes des autres, se décomposent déjà… Les ululements d’une ambulance m’atteignent enfin ; petit à petit, les bruits de la rue reprennent leur cours, déferlent
sur moi, m’abasourdissent.
Quelqu’un se penche sur mon corps, l’ausculte sommairement et s’éloigne. Je le vois s’accroupir devant un amas de chair carbonisée, lui tâter le pouls puis faire signe à des brancardiers. Un autre homme vient prendre mon poignet avant de le laisser tomber… « Celui-là est fichu. On ne peut rien pour lui… »
J’ai envie de le retenir, de l’obliger à revoir sa copie ; mon bras semutine, me renie. Maman, reprend l’enfant… Je cherche ma mère dans le chaos… Ne vois que des vergers qui s’étendent à perte de vue… les vergers de grand-père… du patriarche… un pays d’orangers où c’était tous les jours l’été… et un garçon qui rêve au haut d’une crête.
Le ciel est d’un bleu limpide. Les orangers n’en finissent pas de se donner la main. L’enfant a douze ans et un cœur en porcelaine. À cet âge de tous les coups de foudre, simplement parce que sa confiance est aussi grande que ses joies, il voudrait croquer la lune comme un fruit, persuadé qu’il n’a qu’à tendre la main pour cueillir le bonheur du monde entier… Et là, sous mes yeux, en dépit du drame qui vient d’enlaidir à jamais le souvenir de cette journée, en dépit des corps agonisant sur la chaussée et des flammes finissant d’ensevelir le véhicule du cheikh, le garçon bondit et, les bras déployés telles des ailes d’épervier, s’élance à travers champs où chaque arbre est une féerie… Des larmes me ravinent les joues… « Celui qui t’a dit qu’un homme ne doit pas pleurer ignore ce qu’homme veut dire », m’avoua mon père en me surprenant effondré dans la chambre mortuaire du patriarche. « Il n’y a pas de honte à pleurer, mon grand. Les larmes sont ce que nous avons de plus noble. » Comme je refusais de lâcher la main de grand-père, il s’était accroupi devant moi et m’avait pris dans ses bras. « Ça ne sert à rien de rester ici. Les morts sont morts et finis, quelque part ils ont purgé leurs peines. Quant aux vivants, ce ne sont que des fantômes en avance sur leur heure… » Deux brancardiers me soulèvent et m’entassent sur une civière. Une ambulance arrive en marche arrière, les portières grandes ouvertes. Des brasm’attirent à l’intérieur de la cabine, me jettent presque au milieu d’autres cadavres. Dans un dernier soubresaut, je m’entends sangloter… « Dieu, si c’est un affreux cauchemar, faites que je me réveille, et tout de suite… »
1
Après l’opération, Ezra Benhaïm, notre directeur, vient me voir dans mon bureau. C’est un monsieur alerte et vif malgré la soixantaine révolue et son embonpoint naissant. À l’hôpital, on le surnomme le maréchal-des-logis à cause de son caporalisme excessif aggravé d’un humour toujours en retard d’une pertinence. Mais dans les coups durs, il est le premier à retrousser les manches et le dernier à sortir de l’auberge.
Avant de me naturaliser israélien, alors que, jeune chirurgien, je remuais ciel et terre pour être titularisé, il était là. Bien qu’encore modeste chef de service, il usait du peu d’influence que lui conférait son poste pour tenir à distance mes détracteurs. À l’époque, il était difficile, pour un fils de Bédouin, de se joindre à la confrérie de l’élite universitaire sans provoquer un réflexe nauséeux. Mes camarades de promotion étaient tous de petits juifs fortunés, la gourmette en or et la décapotable sur le parking. Ils me prenaient de haut et subissaient chacune de mes prouesses comme une atteinte à leur standing. Aussi, lorsque l’un d’eux me poussait à bout, Ezra ne cherchait même pas à savoir qui avait commencé ; il se mettait systématiquement de mon côté.
Il pousse la porte sans frapper, me regarde de guingois, un bout de sourire au coin des lèvres. C’est sa façon d’afficher sa satisfaction. Puis, comme je fais pivoter mon fauteuil pour me mettre face à lui, il enlève ses lunettes, les essuie sur le devant de sa blouse et dit :
— Il paraît que tu es allé dans les limbes le ramener, ton patient.
— N’exagérons rien.
Il remet ses lunettes sur son nezaux narines ingrates, dodeline de la tête ensuite, après une brève méditation, son regard retrouve son austérité.
— Tu viens au club, ce soir ?
- Impossible, ma femme rentre aujourd’hui.
— Et ma revanche ?
— Laquelle ? Tu n’as pas gagné une seule partie contre moi.
— Tu n’es pas réglo, Amine. Tu profites toujours de mes mauvaises passes pour me marquer des points. Aujourd’hui que je me sens en forme, tu te débines.
Je me renverse contre le dossier de mon siège pour mieux le dévisager.
— Tu veux que je te dise, mon pauvre Ezra ? Tu n’as plus ton punch d’autrefois et je m’en voudrais d’en abuser.
— Ne m’enterre pas trop vite. Je finirai bien par te clouer le bec une fois pour toutes.
— Tu n’as pas besoin de raquette pour ça. Une simple mise à pied ferait l’affaire.
Il promet d’y réfléchir, porte son doigt à sa tempe dans un salut désinvolte et retourne apostropher les infirmières dans les couloirs.
Resté seul, j’essaie de me rappeler où j’en étais avant l’intrusion d’Ezra et me souviens que j’allais appeler ma femme. Je prends le combiné, compose le numéro de chez moi et raccroche au bout de la septième sonnerie. Ma montre indique 13 h 12. Si Sihem avait pris l’autocar de 9 heures, elle serait arrivée depuis un bon bout de temps déjà.
— Ne te prends pas trop la tête ! me surprend le docteur Kim Yehuda en envahissant mon cagibi.
Elle ajoute derechef :
— J’ai frappé avant d’entrer. C’est toi qui étais dans les vapes…
— Excuse-moi, je ne t’ai pas entendue arriver.
Elle balaie mes excuses d’une main altière, surveille le remuement de mes sourcils et s’enquiert :
- Tu téléphonais chez toi ?
— On ne peut rien te cacher.
— Et, bien sûr, Sihem n’est pas encore rentrée ?
Sa perspicacité m’agace, mais j’ai appris à faire avec. Je connais Kim depuis l’université. Nous n’étions pas de la même promotion – j’avais trois longueurs d’avance sur elle – mais nous avions sympathisé dès nos premières rencontres. Elle était belle et spontanée et ne s’attardait pas là où
les autres étudiantes retournaient sept fois la langue dans la bouche avant de demander du feu à un Arabe, même brillant et joli garçon. Kim avait le rire facile et le cœur sur la main. Nos flirts étaient troublants de naïveté. J’ai énormément souffert lorsqu’un jeune dieu russe, fraîchement débarqué de son komsomol, était venu me la ravir. Beau joueur, je n’avais rien contesté. Plus tard, j’ai épousé Sihem et le Russe est rentré chez lui sans préavis, au lendemain de la dislocation de l’Empire soviétique ; nous sommes restés d’excellents amis, Kim et moi, et notre étroite collaboration a tissé autour de nous une formidable complicité.
— C’est le retour des vacances, aujourd’hui, me signale-t-elle. Les routes sont saturées. Tu as essayé de la joindre chez sa grand-mère ?
— Il n’y a pas de téléphone à la ferme.
— Appelle-la sur son mobile.
— Elle l’a encore oublié à la maison.
Elle écarte les bras en signe de fatalité :
— C’est pas de chance.
— Pour qui ?
Elle soulève son magnifique sourcil, et, du doigt, me met en garde.
— Le drame de certaines bonnes intentions est qu’elles n’ont ni le courage de leurs engagements ni de suite dans les idées.
— C’est l’heure des braves, dis-je en me levant. L’opération a été éprouvante et nous avons besoin de reprendre des forces…
La saisissant par le coude, je la pousse dans le couloir.
— Passe devant, ma belle. Je veux voir toutes les merveilles que tu traînes derrière toi.
— Tu oserais me répéter ça en présence de Sihem ?
— Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Le rire de Kim fuse dans le corridor comme l’éclat d’une guirlande au milieu d’un mouroir.
Ilan Ros nous rejoint à la cantine au moment où nous terminons de déjeuner. Son plateau surchargé, il s’installe à ma droite de manière à avoir Kim en face de lui. Le tablier ouvert sur son ventre pantagruélique et les bajoues écarlates, il commence d’abord par ingurgiter trois tranches de viande froide avant de s’essuyer la bouche dans une serviette en papier.
— Tu cherches toujours une résidence secondaire ? me demande-t-il dans un clapotis vorace.
— Ça dépend où.
— Je crois que je t’ai déniché quelque chose. Pas loin d’Ashqelon.
Une jolie petite villa avec juste ce qu’il faut pour se déconnecter sur toute la ligne.
Ma femme et moi cherchons une petite maison au bord de la mer depuis plus d’un an. Sihem adore la
mer. Un week-end sur deux, lorsque mes congés le permettent, nous sautons dans notre voiture et nous nous rendons sur la plage. Après avoir longuement marché sur le sable, nous surplombons une dune et nous contemplons l’horizon jusque tard dans la nuit. Le coucher de soleil a toujours exercé sur Sihem une fascination que je n’ai jamais réussi à cerner.
— Tu penses qu’elle est à portée de ma bourse ? demandé-je.
Ilan Ros émet un rire bref qui fait trembler son cou cramoisi comme de la gélatine.
— Depuis le temps que tu ne portes plus la main à ta poche, Amine, je pense que tu as largement de quoi t’offrir la moitié de tes rêves…
Soudain, une formidable explosion fait vibrer les murs et tintinnabuler les vitres de la cantine. Tout le monde se regarde, perplexe, puis ceux qui sont près des baies vitrées se lèvent et se retournent vers l’extérieur. Kim et moi fonçons sur la fenêtre la plus proche. Dehors, les gens qui vaquaient à leurs occupations dans la cour de l’hôpital se tiennent immobiles, la tête tournée vers le nord. La façade du bloc d’en face nous empêche de voir plus loin.
— C’est sûrement un attentat, dit quelqu’un.
Kim et moi nous ruons vers le couloir. Déjà, une escouade d’infirmières remonte du sous-sol et file au pas de course en direction du hall. À en juger par l’importance de l’onde de choc, le lieu de la
déflagration ne doit pas être loin. Un vigile actionne son émetteur-récepteur pour s’enquérir de la situation. Son interlocuteur lui déclare qu’il n’est pas plus avancé.
Nous prenons d’assaut l’ascenseur. Une fois au dernier étage, nous nous dépêchons vers la terrasse surplombant l’aile sud du bâtiment. Quelques curieux sont déjà là, la main en visière. Ils regardent du côté d’un nuage de fumée en train de s’élever à une dizaine de pâtés de maisons de l’hôpital.
— Ça vient du côté de Haqirya, rapporte un vigile dans son poste radio. Une bombe ou bien un kamikaze. Peut-être une voiture piégée. Je n’ai pas d’informations. Tout ce que je vois, c’est la fumée s’échappant de l’endroit ciblé…
— Il faut descendre, me dit Kim.
— Tu as raison. Il faut nous préparer à accueillir les premières évacuations.
Dix minutes après, des bribes d’informations font état d’un véritable carnage. Certaines parlent de bus agressé, d’autres d’un restaurant soufflé. Le standard menace de sauter. C’est l’alerte rouge.
Ezra Benhaïm décrète le déploiement de la cellule de crise. Les infirmières et les chirurgiens rejoignent les urgences où des chariots et des civières sont disposés dans un carrousel frénétique, mais ordonné. Ce n’est pas la première fois qu’un attentat secoue Tel-Aviv, et les secours sont menés au fur et à mesure avec une efficacité grandissante. Mais un attentat reste un attentat. À l’usure, on peut le gérer techniquement, pas humainement. L’émoi et l’effroi ne font pas bon ménage avec le sang-froid. Lorsque l’horreur frappe, c’est toujours le cœur qu’elle vise en premier.
Je rejoins les urgences à mon tour. Ezra est sur place, la figure blême, le mobile collé à l’oreille. De la main, il essaie de diriger les préparatifs opérationnels.
— Un kamikaze s’est fait exploser dans un restaurant. Il y a plusieurs morts et beaucoup de blessés, annonce-t-il. Faites évacuer les salles 3 et 4. Et préparez-vous à recevoir les premières victimes. Les ambulances sont en route.
Kim, qui était allée dans son bureau appeler de son côté, me rattrape dans la salle 5. C’est là que seront orientés les grands blessés. Parfois, le bloc opératoire ne suffisant pas, on procède à des amputations sur place. Avec quatre chirurgiens, nous vérifions les équipements d’intervention. Des infirmières s’affairent autour des billards, lestes et précises.
— Il y a au moins onze morts, m’apprend Kim en procédant à la mise en marche des appareils.
Dehors, les sirènes ululent. Les premières ambulances envahissent la cour de l’hôpital. Je laisse Kim
s’occuper des appareils et rejoins Ezra dans le hall. Les cris des blessés retentissent dans la salle.
Une femme presque nue, aussi énorme que sa frayeur, se contorsionne sur une civière. Les brancardiers qui l’assistent ont du mal à la tenir tranquille. Elle passe devant moi, les cheveux hérissés et les yeux exorbités. Tout de suite après elle, arrive le corps ensanglanté d’un jeune garçon. Il a la figure et les bras noircis comme s’il sortait d’une mine de charbon. Je m’empare de son chariot et le conduis sur le côté pour évacuer le passage. Une infirmière vient m’assister.
— Sa main est arrachée, s’écrie-t-elle.
— Ce n’est pas le moment de flancher, lui recommandé-je. Mettez-lui un garrot et conduisez-le au bloc sur le champ. Il n’y a pas une minute à perdre.
— Bien, docteur.
— Vous êtes sûre que ça peut aller ?
— Ne vous occupez pas de moi, docteur. Je me débrouillerai.
En l’espace d’un quart d’heure, le hall des urgences se transforme en champ de bataille. Pas moins d’une centaine de blessés s’y entassent, la majorité étalée à ras le sol. Tous les chariots sont encombrés de corps disloqués, horriblement criblés d’éclats, certains brûlés en plusieurs endroits. Les pleurs et les hurlements se déversent à travers tout l’hôpital. De temps en temps un cri domine le vacarme, soulignant le décès d’une victime. L’une d’elles me claque entre les mains, sans me laisser le temps de l’examiner. Kim me signale que le bloc est saturé et qu’il va falloir orienter les cas graves sur la salle 5. Un blessé exige que l’on s’occupe de lui immédiatement. Il a le dos écorché d’un bout à l’autre et une partie de l’omoplate à nu. Ne voyant personne venir à son secours, il saisit une infirmière par les cheveux. Il faut trois solides gaillards pour lui faire lâcher prise. Un peu plus loin, coincé entre deux chariots, un blessé hurle en se démenant comme un beau diable. Il finit par tomber de son brancard à force de s’agiter. Le corps tailladé, il se met à assener des coups de poing dans le vide. L’infirmière qui s’en occupe paraît dépassée. Ses yeux s’illuminent lorsqu’elle m’aperçoit.
— Vite, vite, docteur Amine…
D’un seul coup, le blessé se raidit ; ses râles, ses convulsions ; ses ruades, tout son corps s’immobilise et ses bras s’affaissent sur sa poitrine, pareils à ceux d’un pantin auquel on vient de trancher les ficelles. En une fraction de seconde, ses traits congestionnés se défont de leur douleur et cèdent la place à une expression démente, faite de rage froide et de dégoût. Au moment où je me penche sur lui, il me menace des yeux et retrousse les lèvres sur une grimace outrée.
— Je ne veux pas qu’un Arabe me touche, grogne-t-il en me repoussant d’une main hargneuse. Plutôt crever.
Je le saisis par le poignet et lui rabats fermement le bras contre le flanc.
— Tenez-le bien, dis-je à l’infirmière. Je vais l’examiner.
— Ne me touchez pas, s’insurge le blessé. Je vous interdis de porter vos mains sur moi. Il me crache dessus. Essoufflé, sa salive lui retombe sur le menton, frissonnante et élastique tandis que des larmes furieuses se mettent à lui inonder les paupières. Je lui écarte la veste. Son ventre n’est plus qu’une bouillie spongieuse que chaque effort compresse. Il a perdu beaucoup de sang, et ses cris ne font qu’accentuer l’hémorragie.
— Il faut l’opérer tout de suite.
Je fais signe à un infirmier pour qu’il m’aide à remettre le blessé sur la civière puis, écartant les chariots
qui nous barrent le chemin, je fonce sur le bloc. Le blessé me fixe haineusement de ses yeux sur le
point de se révulser. Il tente de protester, mais ses contorsions l’ont épuisé. Terrassé, il détourne la tête de manière à ne plus m’avoir en face de lui et s’abandonne à l’engourdissement en train de le gagner.